Les grandes manoeuvres ont débuté le 3 décembre pour remplacer le câble rompu dans le ventre du pont de l’île de Ré. Un chantier d’envergure et plutôt expérimental. 
Petit retour en arrière : le 13 septembre un câble a été découvert à terre. Pourquoi et comment ? Dans le viaduc n° 2, des traces de polyuréthane ont été découvertes dans le câble défaillant, alors que normalement du ciment aurait dû se trouver là. Ce produit, anormalement utilisé, a provoqué une corrosion interne. “ Un incident de chantier qui n’a pas été constaté lors de la réception de la construction du pont ” souligne Pierre-Marie Audoin-Dubreuil, directeur-adjoint des Services du Département.
Une réparation s’est imposée, la plus rapide possible. Suite à un appel d’offres, le Département, gestionnaire du pont, a confié la mission au groupement Freyssinet/Sixense. Freyssinet est spécialiste de la pré-contrainte et Sixense, filiale de Freyssinet, est spécialiste des systèmes de mesures de scan.
Le remplacement d’un câble de pré-contrainte à l’intérieur d’un pont est un sujet totalement inédit, quand bien même les spécialistes appelés au chevet du pont de l’île de Ré maîtrisent les techniques. L’histoire est semble-t-il très intéressante pour tous ceux qui vont la vivre sur le terrain. On réfléchit, on avance.
Dans mon précédent post, j’avais mentionné qu’une cage métallique devait être construite à l’avancement pour assurer la réparation à l’intérieur du pont, permettant d’optimiser la sécurité des équipes intervenantes.
Cette hypothèse a été écartée au profit d’une autre solution, aussi sécure pour ceux qui vont intervenir.
Le pont comporte 28 piles, avec à l’intérieur 218 câbles de pré-contrainte, répartis par moitié entre le côté nord et le côté sud.
Dans le viaduc n° 1, le plus proche de l’île, il y a 34 câbles. Et dans le viaduc n° 2, il y a 36 câbles, c’est là qu’un câble a été découvert rompu le 12 septembre dernier.
Depuis trois semaines, les équipes cheminent, jour après jour, pour atteindre le câble à remplacer, entre 800 mètres et un kilomètre en partant de l’île de Ré.
La procédure est méthodique. La progression s’opère en faisant un état des lieux des 70 câbles (34 + 36).
Il faut déposer les caches des têtes de câbles. C’est à partir des têtes d’ancrage que les câbles de pré-contrainte du pont ont été tendus, il y a trente ans.
Afin de faire un état des lieux de chaque tête d’ancrage, des sondeurs acoustiques sont posés. Ils sont de couleur bleue.
Le câble a rompu à 50 cm après la tête. C’est à cette distance qu’ont été découvertes des traces de polyuréthane. Les 70 câbles sont testés sur une longueur de trois mètres à partir de sa tête. Les trois mètres sont une marge supplémentaire de contrôle.
Pendant qu’un opérateur est proche de la tête d’ancrage, l’analyse est faite par un système USCAN, à ultra-sons.
Le résultat se lit sur un écran de contrôle, comme une échographie. Pas de bip bip… L’onde sonore renvoie un écho si elle rencontre contre une rupture, elle se transforme sous forme de pic sur l’ordinateur. Jeudi 20 décembre, pas de pic.
Chaque câble se compose de dix-neuf torons.
Chaque toron comporte sept fils. Un à un les fils sont contrôlés. La mesure dure 50 secondes par fil.
50 secondes X 7 fils X 19 torons (soit 133 fils). Multipliez de nouveau par 70 câbles (34 viaduc n° 1 + 36 viaduc n° 2) et multipliez encore par deux têtes de câble. Je vous laisse faire le calcul vous-même pour déterminer les secondes, les minutes et les heures nécessaires pour tout vérifier !
A ce stade du chantier, les premiers câbles déjà vérifiés ne montrent pas de signes de défaillance particulier.
Une fois les têtes d’ancrage contrôlées, l’étape de sécurisation suivante consiste à attacher manuellement les câbles, les uns aux autres, avec des sangles oranges. Les mêmes que celles utilisées par les poids lourds pour assurer des remorquages. C’est du costaud !
Si un câble devait rompre, alors que les équipes travaillent, il serait maintenu par les autres. En fait, le système de sangles a été privilégié, en lieu et place de la cage métallique initialement envisagée.
Les câbles vérifiés sont eux-mêmes équipés de sondeurs acoustiques. Une sécurisation supplémentaire.
“ Nous avons trois chantiers dans le chantier. Une fois les câbles détectés comme sains et instrumentés et la zone d’investigation passée, nous pouvons progresser ” ont expliqué Nicolas Coevoet, Ingénieur Travaux Freyssinet responsable du chantier, et Hélène Randon Chef de Projet Sixense.
Au total 2 000 sangles seront nécessaires. Les câbles sont liés parfois tous les 50 cm, parfois tous les mètres, depuis l’entrée du pont jusqu’aux piles 7 et 9, lieux du dégât.
Les équipes progressent en créant une zone balisée, au delà de laquelle seules les personnes autorisées peuvent accéder. Au terme de trois semaines d’installation du chantier et d’intervention, elles sont arrivées entre la 3ème et la 4ème pile.
Il leur faut encore cheminer jusqu’à la 7ème pile pour atteindre le bout du fameux câble. Des échafaudages sont montés, au fur et à mesure de l’avancement, dans les parties du viaduc où les câbles sont positionnés en haut.
Il faut quand même se dire qu’un kilomètre doit être sécurisé de chaque côté des viaducs 1 et 2, puisque les câbles sont présents de part et d’autre de la travée centrale.
En gros, le 20 décembre, on en est à la moitié de la progression.
Des caméras sont également installées dans le pont. A terme, il n’y aura plus de visites techniques à pied par les équipes du Département pour effectuer les contrôles réguliers.
Les informations du ventre du pont seront pilotés à distance et renvoyées sur le poste de surveillance du péage et sur la Direction des Infrastructures du Département, située à Saintes.
Ils sont une trentaine à travailler sur ce chantier, de 6 heures à 22 heures, en semaine. Les équipes se relaient en deux fois huit heures. Claustrophobes s’abstenir ! En plus, la lumière est faible.
De temps en temps, ils s’accordent une pause pour sortir de l’intérieur du pont, afin de prendre l’air. Ce qui est bien compréhensible.
Cheminer dans le pont n’est pas chose aisée. Monter et descendre une succession de petits escaliers en fer, sans rambardes, effectuer ainsi des allers et retours, ça fait les mollets ! Chaque intervenant marche ainsi une bonne dizaine de kilomètres par jour.
Lors de la conférence de presse organisée le 20 décembre, nous avons appris que les équipes sont cosmopolites. L’entreprise Freyssinet est internationale. Dans un délai très court, elle a dû rassembler ses compétences venues de tous pays, en particulier d’Europe pour les U-scan : Ukraine, Portugal, Angleterre, Espagne, Kosovo, entre autres.
Pour tous, ce chantier est inédit et unique. On ne remplace pas un câble de pré-contrainte tous les jours !
“ La rupture d’un câble, si elle est très dangereuse pour ceux qui se déplacent l’intérieur du pont, elle est sans aucun risque pour l’usager sur le pont, car nous avons justement pris toutes les mesures de restriction de circulation qui ont rétabli toutes les marges de sécurité pour l’usager ” a une nouvelle fois rassuré Pierre-Marie Audoin-Dubreuil.
Début janvier 2019, les morceaux du nouveau câble seront livrés en pièces détachées, en gaines de six mètres de long et en bobines de fils. Le câble sera assemblé sur le lieu du dégât. Les fils seront positionnés dans les torons, puis les torons dans la gaine, dans laquelle sera injecté du coulis de ciment. Le nouveau câble se composera de 16 torons. Ensuite il faudra le tendre au moyen d’un vérin.
L’assemblage du câble lui-même ne démarrera que fin janvier-début février, le temps que les différents contrôles de progression jusqu’à l’ancien câble soient aboutis.
La fin du chantier devrait se profiler aux alentours de mi-février.
Le devis de ce chantier est de 2 784 604 € HT. Les travaux sont entièrement financés par l’Ecotaxe dont les automobilistes s’acquittent à chaque passage.
“ C’est le pont qui paie. Dans le budget Ecotaxe du Département, 6 millions € sont prévus pour sa gestion, ses investissements, son entretien et ses aléas. Mais on ne s’attendait pas à cette rupture de câble. Il n’y a pas d’assurances pour cela ” a de nouveau précisé Lionel Quillet.
En vidéo, voici quelques explications données lors de la conférence de presse :
Pour le moment le chantier consiste à réparer dans l’urgence. Une suite est prévue.“ A titre expérimental, avec l’appui du Cerema (Centre d’Etudes et d’Expertise sur les Risques, l’Environnement, la Mobilité et l’Aménagement) et de l’ISTAR, le réseau scientifique et technique de l’Etat, nous allons procéder à un contrôle à plus long terme pour vérifier l’intégralité des sections des câbles et détecter une éventuelle présence de mousse de polyuréthane.
Là, nous serons sur de la mesure électro-magnétique. Et par ailleurs nous envisageons d’appareiller, de façon permanente, l’ensemble du pont en sondeurs acoustiques et monitoring ” a annoncé Pierre-Marie Audoin-Dubreuil. 
Le chantier s’arrête pendant les Fêtes, il reprend le 7 janvier. En attendant les conditions de circulation restent inchangées.