Madeleine Pauliac, bien plus qu’un livre d’Histoire

Parmi mes lectures de l’été, un livre m’a remué, Madeleine Pauliac, l’insoumise. Dès la couverture le grand regard, clair et franc, interpelle. La jeune femme est très jolie.

Et pourtant dans le titre le mot figure un mot : Insoumise. Signifie t-il rebelle ? indocile ? révoltée ? résistante ?

Madeleine Pauliac, l'insoumise par Philippe Maynial

C’est un document unique sur des événements qui se sont déroulés en Pologne, à la fin et après la deuxième guerre mondiale, en 1945. Philippe Maynial en est l’auteur.

Beaucoup de Rétais le connaissent, en particulier les habitants d’Ars-en-Ré et de Loix. Cet été, au salon du livre de l’île de Ré, l’Île aux Livres, ils sont nombreux à être venus lui faire dédicacer l’ouvrage.Philippe Maynial - L'Ile aux livres - 22 juillet 2017

Le livre est paru en février 2017. Rapidement il s’est imposé parmi les best-sellers des livres d’Histoire du palmarès l’Express/Lire, une référence en la matière. “ Je ne savais pas qu’en l’écrivant j’étais en train d’écrire un livre d’Histoire sur la Pologne ” confie t-il.

Tiré une première fois à 10 000 exemplaires, il a du être tiré une nouvelle fois avant l’été. Une troisième édition s’annonce ces jours-ci. Bravo !

Madeleine Pauliac, l'insoumise - Top 15 ventes livres d'histoire

En 1945, Madeleine Pauliac a 33 ans, elle est docteur de La Croix Rouge. “ Elle est militaire, médecin-lieutenant de la 1ère armée française, la même qui s’est battue sur le front oriental, le front russe. Avec ses collègues infirmières-ambulancières et amies de l’Escadron Bleu, âgées de 22 à 29 ans, elles ont réalisé 200 missions en Pologne, en Russie, et parcouru plus de 40 000 km ” souligne l’auteur, dont on sent une admiration et une profonde déférence pour sa tante et ces jeunes femmes.

“ Je ne savais rien d’elle, sinon qu’elle était ma tante, et qu’elle était une héroïne ” écrit-il sous une photo qui illustre l’ouvrage.

Il est vrai que les Anciens qui ont connu la guerre n’aiment pas trop raconter les horreurs qu’ils ont vécues ou vues. Pour eux c’est du passé, sur lequel ils ont posé un voile de pudeur.

Escadron bleu - Madeleine Pauliac, l'insoumise par Philippe Maynial

Est-ce une envie, ou un besoin, qui a poussé Philippe à témoigner ?

Tout est parti de courriers échangés entre sa mère Anne-Marie Pauliac, et sa soeur, Madeleine. Les lettres sont longtemps restées dans les tiroirs de la famille.

Madeleine avait été nommée à la tête de la mission de rapatriement des Français. Outre les lettres, l’auteur disposait des rapports militaires qu’elle a rédigés, et qu’elle a envoyés au général de Gaulle sur ses activités. “ Ma mère les avait mis de côté. Ils étaient tapés à la machine, avec onze pelures derrière, ainsi que cela se faisait à l’époque. Ils sont datés de novembre 1945. Le rideau de fer était sur le point de tomber. Il fallait faire vite, 300 000 Français se trouvaient encore en Pologne. Madeleine a été envoyée par le Général Catroux, ambassadeur en Union des républiques soviétiques et par Roger Garreau, délégué au Gouvernement provisoire, pour récupérer le maximum de Français encore en Pologne. L’ordre du rapatriement avait été ordonné par de Gaulle ”.

Ces hommes étaient des réquisitionnés contre leur gré, pour participer au STO, Service du Travail Obligatoire, transférés afin de participer à l’effort de guerre allemand. Parmi eux des Malgré-Tous, des Alsaciens-Lorrains enrôlés de force dans l’armée allemande. D’autres étaient des soldats prisonniers dans les Stalag et les Oflag. Il y avait aussi des déportés que l’on espérait encore vivants dans les camps d’extermination.

Ce livre est émotion pure.

Au fil des pages, on suit Madeleine Pauliac et l’Escadron bleu, dans cette incroyable épopée. Elle s’est malheureusement et tragiquement terminée : “  Ma tante est arrivée à Moscou le 7 avril et à Varsovie le 2 mai 1945. Elle est rentrée à Villeneuve-sur-Lot pour passer Noël avec sa soeur. Elle est ensuite repartie en Pologne. Elle est décédée là-bas dans un accident de la route, le 13 février 1946. Elle n’a pas eu le temps de lire les lettres que ses copines de l’Escadron bleu lui avaient envoyées en France, elles étaient toutes rentrées, seule Madeleine est repartie. J’ai retrouvé plusieurs enveloppes non ouvertes ”.

Deux années d’une enquête minutieuse ont mené Philippe sur ses traces. “ J’ai cherché à compléter le puzzle. Personne jusqu’à présent n’avait écrit sur la Pologne entre avril et décembre 1945, alors occupée par les Soviétiques ” dit-il.

Il a eu accès aux archives du ministère de La Défense et celle du ministère des Affaires Etrangères. Des jours durant il a compulsé de nombreux documents. Il a trouvé matière dans les Mémoires du Général Catroux, dans les rapports de Roger Garreau, dans ceux du docteur Bourgeois, qui a beaucoup écrit lorsqu’il était à tête du Train sanitaire (SIPEG). Au CNRS il a relevé des témoignages sur les camps de concentration.

Et il est allé sur place,  pour tenter de retrouver  l’ancien hôpital français de Varsovie. Trois jours de recherches, il craignait qu’il ait été rasé. Après avoir un temps été devenu l’ambassade de Tunisie, en février 2016 l’immeuble était à louer…

Philippe Maynial à Varsovie

Mais l’histoire ne s’arrête pas simplement à l’écriture d’un livre.

Philippe a mis le doigt dans un enchaînement de circonstances. Un vrai fil conducteur qui le conduit vers d’autres explorations : “ C’est comme un puzzle qui se met en place. Comme un reportage qui ouvre encore plus les portes et la connaissance de ce qui s’est passé. Mais j’ai encore beaucoup de trous ” concède t-il.

Il a rencontré la dernière survivante de l’Escadron bleu, Simone Sainte-Olive, résidente à Lyon. Elle est décédée en juin 2017, à 94 ans. Le livre était déjà paru. “ Elle m’a raconté beaucoup de choses. Presque aveugle, elle s’est fait lire le bouquin. Je l’ai filmée, elle est sur le Facebook Madeleine Pauliac que nous avons créé ”.

2917 personnes sont abonnées à la page Facebook, c’est dire l’intérêt que suscite ce pan d’histoire.

“ Le livre a permis de renouer des liens entre la famille Sainte-Olive, Barbara mon épouse qui m’a beaucoup aidé pour faire ce livre, et moi-même. En août, au salon La Fôret des livres, je suis tombé par hasard sur les enfants de Micheline Reveron, une des onze infirmières de l’Escadron bleu. Les descendants de ces femmes disent qu’après ce qu’elles avaient vécu, elles avaient une solidarité à vie, elles étaient comme des soeurs, des cousines. Maintenant que nous nous sommes retrouvés on s’appelle tous des cousins, ils sont comme une nouvelle famille pour nous. Mais il y en a encore d’autres à découvrir et à rencontrer ” raconte Philippe.

Escadron bleu - Madeleine Pauliac, l'insoumise par Philippe Maynial

Il a participé en direct à une émission de Radio Canada Aujourd’hui l’histoire. L’animateur, Jacques Beauchamp, le Alain Decaux du Canada, avait ressorti un vieux reportage filmé de la BBC, tourné le 29 avril 1945, le jour de l’ouverture du camp de Dachau où l’Escadron était aussi. Ce témoignage corrobore le contenu des pages du livre sur cet événement.

Le fil conducteur grossit. Depuis la parution, beaucoup de nouveaux éléments sont venus se greffer.

“ La suite est comme un porte-avion sur lequel d’autres navires viennent s’amarrer. J’ai rencontré Monsieur Smith, le fils d’une aide-soignante de l’hôpital de Varsovie. Il dispose de photos et de textes de sa mère où elle brosse le tableau d’une vie très dure de la vie à l’hôpital que dirigeait Madeleine. Elle parle d’un enfer pour tenir cet établissement. A l’époque, cette dame a fait connaissance d’un des pilotes de Dakota qui faisait des rotations entre la Pologne et la France. Elle l’a épousé après la guerre, trois couples se sont ainsi formés ”.Escadron bleu - Madeleine Pauliac, l'insoumise par Philippe Maynial

Avant le livre, un film avait été tiré d’une partie de l’histoire de ces femmes engagées. Les Innocentes est sorti en février 2016, sur une idée de scénario de Philippe Maynial.Affiche film Les Innocentes - Février 2016Ce film a connu, et connaît, un engouement, alors que le thème est plutôt dramatique. L’équipe ne s’attendait pas à son succès, qui peut être qualifié de mondial. Il a été vendu dans plus de 50 pays, USA, Amérique latine, Europe.  “ C’est exceptionnel ” affirme Philippe.  En 2016, il a été nominé aux Césars, il a fait partie des quatre films sélectionnés pour représenter la France aux Oscars à Hollywood. Il est sorti au Japon il y a deux mois, il a reçu le Prix du public au Tokyo Festival Unifrance. Déjà une belle carrière… En France, il a fait 700 000 entrées. Il vient d’être diffusé sur Canal +. Au printemps prochain, il passera sur France 2, co-producteur du film.

Au cours de sa dernière mission, Madeleine a rapatrié 24 bébés, dont probablement certains sont des enfants des religieuses dont l’histoire est racontée dans Les Innocentes. Mais aussi des orphelins polonais qui vivaient dans la rue. Je m’interroge encore sur cette mission. Le 10 octobre 1945, Madeleine a obtenu La Croix d’Or, la plus haute distinction de La Croix Rouge de Pologne, en vertu de ses grands mérites et de son travail assidu pour secourir et assister les enfants polonais  est-il écrit sur un document retrouvé, alors que ce type de mission ne faisait pas partie de ses attributions ”.

Philippe est donc maintenant à la recherche de ces adoptés en France en 1945. Ils devaient avoir entre 1 et 4 ans, ils ont aujourd’hui entre 72 et 76 ans.

La fenêtre est étroite, autant dire retrouver une aiguille dans une botte de foin !

Madeleine Pauliac, l'insoumise par Philippe Maynial

Il travaille désormais sur un projet de documentaire.  “ J’ai les infos. Outre l’interview de Simone Sainte-Olive, j’ai aussi questionné et filmé les enfants des femmes de l’Escadron bleu, au cours d’une réunion de famille qui nous a rassemblé en juin dernier. J’ai voulu savoir ce que leurs mères leur avaient raconté.  Je dispose d’une dizaine de témoignages. D’autres descendants se manifestent, c’est formidable  ! ”.

Que dirait Madeleine Pauliac, jeune femme modeste et discrète, de tout cela ?  “ Madeleine est une icône pour la famille. Au travers de l’écriture du livre, j’ai compris le chagrin épouvantable de ma mère, lorsque Madeleine est retournée en Pologne contre son avis. Elle n’en parlait pourtant pas. A nous ses enfants elle cachait sa douleur. Les deux soeurs avaient perdu leur père à Verdun, le départ de Madeleine a dû être un second abandon pour elle. Pendant deux ans, j’ai eu le temps d’analyser et de bien comprendre l’histoire de ma mère et de sa soeur, elles étaient très unies « .

Le livre est édité par XO. Peut-être sortira-t-il en format poche l’année prochaine ? L’histoire de Madeleine Pauliac qui était tombée dans l’oubli est ressortie au grand jour. Aujourd’hui si vous tapez son nom sur Google, une trentaine de pages apparaissent. Elle est souvent appelée The French Red Cross doctor, telle une référence.

“ J’ai redonné vie à Madeleine Pauliac. Cinq ans pour faire le film, deux ans pour écrire le bouquin, et deux années à venir pour faire le documentaire…  10 ans de ma vie pour cette femme et pour ma famille, ça n’a pas de prix ” conclut Philippe avec un sourire heureux.

Chaque dédicace est l’occasion d’un accueil, d’encouragements et de rencontres chaleureuses. Après les Traversées littéraires de Pont-l’Evêque le week-end dernier, d’autres dédicaces sont à venir, à Saint-Etienne, à Chaville et à Villeneuve Loubet.

De là où elle est aujourd’hui, de toute évidence, Madeleine Pauliac dévide un fil.Escadron bleu - Madeleine Pauliac, l'insoumise par Philippe Maynial

NB : les photos qui illustrent ce post sont tirées du livre.

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