A Saint-Clément des Baleines, quatre blockhaus de la Conche sont voués à la destruction. Deux après le virage de la Solitude, au lieu-dit Zanuck, et deux autres plus loin, en direction des Portes, au lieu-dit Couny. Les travaux de démolition ont débuté mardi dernier 20 septembre.
Les voir être détruits me rend pensive et perplexe…
Au fil des ans, sous l’effet des tempêtes et de l’érosion du sable nous les avons vus glisser peu à peu depuis le haut de la dune, pour finalement se caler bien tranquilles sur la plage. Enfant, mon père racontait à notre fratrie : « C’est pas beau la guerre » en nous commentant ces traces nazies. Nous ne comprenions pas obligatoirement grand chose, mais si les parents le disaient, c’est que c’était vrai et important.
De surcroît, ces blockhaus n’ont jamais servi, la guerre s’est arrêtée avant même qu’ils ne trouvent et ne prouvent leur utilité. Tous ces édifices de béton et casemates, sur le mur de l’Atlantique, ne sont que le témoignage de la bêtise des hommes, lorsqu’ils souhaitent montrer leurs petits muscles testostéronés.
Faut-il conserver ces énormités, auxquelles l’oeil s’est habitué, et qui font figure de quotidien patrimonial ?
J’ai entendu des discussions entre mon frère et un de ses copains allemands à propos de ces bunkers. J’ai vu touristes et autochtones venir se baigner sur la Conche, avec les blockhaus pour univers familier, sans grand souci de ces traces du passé. J’ai vu aussi les dunes ravagées par les tempêtes et reculer inexorablement. C’est là qu’ont été tournées quelques scènes du film Le Jour le Plus long.
Voir ainsi partir le patrimoine, est pour beaucoup d’entre nous, un véritable crève-coeur.
Je suis partagée entre émotion et raison.
La raison, dit qu’il faut supprimer ces blockhaus. Depuis qu’ils sont sur le sable, ils ont fait et ils font encore de gros bobos à la dune. Cela a été le cas lors des gros coups de vent des hivers 2013 et 2014.
« Deux éléments militent pour leur destruction. Derrière les blockhaus, ça gratte et ça fait effet venturi. Nous avions été obligés de mettre des enrochements, pour le moins disgracieux et inopérants. Les enrochements ne font que protéger la dune de l’effet des blockhaus ! Ou on laisse les blockhaus, ou on perd la dune… » justifie Lionel Quillet, président de la Communauté de Communes.
« Il y avait aussi un vrai problème de sécurité pour la commune de Saint-Clément. En cas d’accident, le maire est responsable. Nous avons tous joué dans ces blockhaus, mais ils sont dangereux. Oui c’est une perte, on ne peut pas le nier, mais ce n’était plus tenable ».
Pour nous réconforter, il est dit qu’il y en a encore six autres de ce même type sur l’île de Ré, certes moins connus et moins emblématiques que ceux de la Conche. 296 ouvrages fortifiés ont été répertoriés dans l’inventaire mené par le service Patrimoine de la CDC. La batterie de Karola, entre Ars et Saint-Clément, aujourd’hui quasi à l’abandon, est intéressante à ce titre. Elle appartient à l’Armée de Terre. Actuellement la CDC et l’ONF font des démarches pour récupérer ce site, pour pouvoir le valoriser.
La mémoire de ces ouvrages sera néanmoins conservée. Le service Patrimoine de la CDC a mandaté un photographe, spécialisé dans les photos de patrimoine, pour faire un reportage complet. En parallèle, l’ONF a effectué des relevés topographiques en 3D, qui permettront d’avoir une vision interne et externe des ouvrages, même lorsqu’ils ne seront plus là.
Pour la démolition, le choix s’est porté sur la fragmentation hydraulique. Elle permet de concasser immédiatement, sur place.
Les petits morceaux de béton vont être utilisés pour le chantier de la digue des Doreaux, à Saint-Clément. Rien ne se perd, tout se transforme…
Auparavant, il va y avoir un peu de tri à faire ! Les blockhaus contiennent pratiquement plus de ferraille que de béton ! Les Allemands avaient prévu qu’ils résistent à des bombardements aériens. Découvrir les entrailles est vraiment impressionnant.
Il faut compter deux semaines, au minimum, pour détruire un seul blockhaus. A ce rythme, la fin de chantier est prévue pour fin novembre. A la dynamite, ç’aurait été plus rapide. L’explosion aurait fait de trop gros morceaux, qu’il aurait ensuite fallu concasser pour le chantier de la digue des Doreaux.
Les débris seront évacués au moyen d’ une grue, dont le bras passera par dessus la dune. Mais cela, c’est encore une autre histoire…
En vidéo, ça fait tac tac tac tac tac…
Après ce premier blockhaus, ce sera le tour du gros costaud qui se situe juste à côté, au Pas de la Solitude. Et ensuite les deux blockhaus de Couny.
Pour le moment, les deux petits blockhaus, au Pas de la Solitude restent en place. Mais ce n’est pas dit qu’ils ne subiront pas le même sort. « En toute logique, il aurait fallu également les supprimer. Nous y allons progressivement, nous allons déjà constater les effets obtenus avec ces quatre là » affirme Lionel Quillet.
Lorsqu’ils étaient sur la dune, les blockhaus appartenaient à l’ONF. En tombant sur la plage, ils sont sur le Domaine Public Maritime, en l’occurrence l’Etat. Néanmoins, c’est via l’Ecotaxe Intercommunale que la démolition est financée. Et il en coûte 275 000 euros à la collectivité rétaise.
Ces travaux ont bien évidemment reçu une validation environnementale de l’Etat, au terme d’une année de tractations et de discussions.
Lionel Quillet explique : « La dune ne peut pas prise en compte dans la défense de digues et les PAPI. L’Etat interdit les interventions sur les dunes, au titre de la protection de côtes, de l’érosion côtière, ou de la défense du territoire. Elles ne peuvent donc être ni autorisées, ni validées, et elles ne bénéficient d’aucune subvention. Le Fonds Barnier ne finance que les protections en dur, comme les digues, qui elles, par ailleurs, ne peuvent pas être financées par l’Ecotaxe.
Pour le moment, la doctrine de l’Etat n’est pas de permettre d’interventions sur les dunes. On est plutôt sur une évolution naturelle, soit du repli stratégique, soit de l’amélioration. Nous avons signé une convention avec l’ONF pour mener des actions sur la forêt et sur le milieu dunaire, C’est grâce à ce partenariat que nous pouvons intervenir ici, au titre de la préservation de la dune, de son écologie et de ses habitats naturels ».
Il y a 120 ans, le trait de côte de la Conche était le même qu’aujourd’hui. Jusqu’à la fin du 19e siècle la dune s’est considérablement ré-ensablée. De 1942 à 1944 les blockhaus ont été édifiés à son sommet. Depuis huit ans, la dune a reculé de 50 mètres. Jusqu’où l’érosion dunaire ira-t-elle ?
Une fois les blockhaus retirés, l’ONF va renaturer l’ensemble et apporter des renforcements doux. Pour quel résultat ? L’avenir le dira…
La première action menée par l’ONF, en 2014, a été la reconfiguration de l’accès à la plage, à Zanuck : supression des enrochements, et mise en place d’un escalier droit et amovible.
On ne peut que constater les effets bénéfiques sur le profil de la plage, dans un laps de temps court. Quatre mètres de largeur se sont ré-ensablés sur une hauteur de 1,50 m, et les herbes ont repoussé sur les dunes, en apportant ainsi un peu de consolidation.
Cependant nous ne sommes cependant pas à l’abri d’un gros coup de tabac dans les mois qui viennent, qui pourrait mettre à mal cette préservation douce. Ces deux derniers hivers, plutôt cléments, la Conche a été fort heureusement épargnée.
Pour le moment il fait merveilleusement beau, pourvu que ça dure.