La mairie d’Ars-en-Ré a confié ses deux cadastres napoléoniens à l’Atelier Quillet à Loix, pour qu’ils se fassent une cure de jouvence.
Ces atlas très anciens ne sont pas datés. Cependant ils doivent remonter aux années 1830. Peut-être 1840 ? Il est certain que depuis 180 ans, ils ont été de nombreuses fois pris en mains…
Tourner les pages de ces cadastres, c’est plonger dans l’urbanisme du village. Ars dispose de deux tomes : un de 18 pages et un de 17 pages. C’est dire l’importance du bourg pour l’époque..
Dans chacun, les plans parcellaires indiquent les éléments de propriété dans le ressort communal. Le premier document de chaque plan est le tableau d’assemblage, il indique les limites des différentes sections. Il est suivi des plans des sections, qui situent chaque parcelle avec son numéro. Y figurent également les bâtiments construits.
C’est Napoléon qui a institué le plan cadastral au niveau national, de par la loi du 15 septembre 1807. L’outil est juridique et fiscal, il doit permettre d’imposer équitablement les citoyens aux contributions foncières. Jusque vers 1850, il est dressé progressivement, commune par commune. Tout cela peut être assimilé à un état-civil de la propriété.
On appelle ces cadastres napoléoniens. Napoléon en a eu l’idée, mais lorsqu’ils ont vu le jour, l’Empereur était déjà mort depuis au moins 20 ans.
De nos jours, ces atlas ne sont pas utilisés quotidiennement par l’équipe communale d’Ars. Le cadastre-référent est celui révisé par la loi du 16 avril 1930, et mis à jour dans les années 1970. Mais il arrive régulièrement d’être obligés de se plonger dans les archives bien plus anciennes. Par exemple, pour reconstituer l’histoire d’une propriété, voire connaître la physionomie du bourg à cette époque, retrouver les accès qui ont dessiné le bourg actuel ou bien les lieux-dits qui indiquaient d’anciennes constructions.
Lorsque les documents sont arrivés à l’Atelier Quillet à Loix, ils n’étaient pas en bon état, en particulier les couvertures étaient largement déchirées. A plusieurs endroits les bords des plans étaient déchiquetés. En revanche, les ferrures de la reliure étaient intactes.
Comment s’opère une telle restauration ? Pendant plusieurs semaines j’ai suivi son évolution, et les différentes phases des métiers de la restauration et de la reliure. Le but étant que ces cadastres retrouvent leur lustre d’antan, à l’identique de ce qu’ils étaient.
Les plans originaux ont été dessinés à l’encre et rehaussés à l’aquarelle, permettant de délimiter maisons, bois et eaux. Ils étaient vernis, ce qui les a quand même protégées des affres des ans et de la poussière. Une fois les cadastres désossés, chaque page a néanmoins été passée sur la table de dépoussiérage et de gommage.
L’opération suivante est plus délicate : la récupération les plans dans leur structure première. A sec, la première toile est retirée. Il faut avoir la main sûre pour ne pas tout déchirer… Puis le carton qui a servi jadis de support intermédiaire est superficiellement humidifié avec un mélange eau + alcool, avant de le séparer du plan lui-même. Le scalpel, entre les doigts de Fabien, restaurateur, relève de l’opération quasi chirurgicale.
La page est ensuite mise sous poids pour retrouver un bon à-plat.
Les lacunes de papier, en fait les trous creusés par des années et des années de consultation des registres, ont ensuite été comblées par du papier Japon.
Puis chaque page est collée sur deux supports : papier + toile. C’est une étape essentielle. Le papier Japon en fibre de mûrier est un support neutre. Il va permettre une bonne conservation pour les années à venir. Il est posé en intermédiaire entre la toile et le plan original, afin que celui-ci ne s’incruste pas dans la toile. Les colles sont de l’amidon et de la Klucel G. Elles sont réversibles. Tout est prévu, on ne sait jamais ce qui peut arriver par la suite, comme devoir refaire suite à un dégât des eaux…
Ensuite les plans sont posés sur des châssis pour parfaire le séchage.
Place à la couture. Maud, relieuse, s’y emploie.
Le fil utilisé est du lin. Fin, mais bien solide.
La toile a été repliée en deux onglets. Ils servent à assembler les 17 et 18 pages de chacun des deux registres, en les cousant les uns au-dessus des autres. Le point est savant pour que la couture soit résistante. Il faut être ambidextre pour faire ce métier : main gauche comme main droite sont sollicitées ! Aux extrémités de chaque cahier, un bon vieux point de chaînette consolide la couture.
Les ouvrages sont cousus. Il faut maintenant passer à la couverture, à l’ossature extérieure.
La toile utilisée pour la couverture est noire, telle la précédente. Dépliée, elle paraît immense ! C’est vrai qu’ils sont grands ces registres, une sacrée dimension de tissu est nécessaire pour les recouvrir. C’est encore un autre travail de précision pour tracer au crayon les repères qui serviront, au millimètre près, à positionner les cartons de reliure.
« J’ai doublé les cartons avec des buvards pour gagner un peu en épaisseur. Lorsque je remettrai les anciennes ferrures en place, cela permettra justement de compenser l’épaisseur des anciens cartons » explique Maud. Les deux cartons de couverture et la carte à dos du registre sont recouverts de colle vinyle, puis ajustés avec précision sur l’envers de la toile. Une planche est posée dessus pendant le temps du séchage.
Il faut découper les coins, ajuster au plus près, anticiper les futures épaisseurs, coller les longueurs de bande d’un trait, rabattre la toile, presser pour bien chasser la colle et l’air afin d’ éviter les bourrelets. On voit que Maud est experte… Elle se sert d’un plioir en os, fabriqué artisanalement. Elle raconte que cet outil se façonne à la main du relieur, à force d’utilisations.
Muni de sa couverture, le registre pèse très lourd. Non seulement il faut de la place pour le manipuler d’un bord à l’autre, mais aussi une force certaine dans les avant-bras pour le soulever ! Tout au long de la restauration, la relieuse en aura soupesé des pages et des pages…
C’est maintenant l’étape de la finition extérieure du registre.
Les anciennes ferrures ont été récupérées et nettoyées. Elles sont vraiment splendides et intactes. J’ai une pensée pour ceux qui les ont façonnées. Elles ont formidablement traversé toutes ces années. C’est la seconde fois de leur vie qu’elles sont manipulées.
Je reste muette devant le souci du détail de ces métiers manuels et patrimoniaux. Ce petit plus, qui fait que l’ouvrage est parfaitement restitué dans sa mémoire. Marteau, poinçon sont utilisés délicatement pour creuser le carton. Fort heureusement, les ferrures ne se sont pas cassées, elles ont bien tenu le choc lorsqu’elles ont été enlevées, ré-installées et leurs pointes rabattues.
Je crois que la restauration est terminée. Pas du tout ! Ah bon ? Avant d’attaquer la consultation des plans, des pages blanches sont nécessaires en tête et en fin d’ouvrage, pour isoler les plans. Quatre pages de chaque côté, ainsi que cela existait autrefois. Respect des plans : on ne les consulte qu’après avoir franchi l’étape de ces pages d’ouverture et de fermeture du registre, qui sont appelées pages de contre-garde et de garde. Le travail est minutieux : « Pour un Atlas, c’est plus compliqué que pour un registre normal ,car il y a plein de mouvements » assure Maud.
La relieuse explique que le papier Vergé, utilisé pour ces pages spécifiques, va s’agrandir d’au moins 5 mm sous l’effet de la colle, et qu’il faut le prévoir lorsqu’elle prend ses repères de coupe. Je suis éberluée devant ces multiples petits gestes, précis et minutieux, qu’il convient d’exécuter.
Et c’est reparti pour encore du papier et de la colle… Une bande de lustrine est ajustée au centre intérieur des registres pour apporter encore de la consolidation, et pour emboîter les plans dans la reliure.
Huit outils sont utilisés par la relieuse : brosse, poncette, pinceau, colle, plioir, marteau, poinçon, cutter.
Voici l’étape ultime : la coupe des pages de garde. Avec les épaisseurs des ferrures, le coup de cutter peut vite déraper. Là encore, vigilance, patience, minutie, précision, sont des qualités bien nécessaires pour exercer ce très beau métier.
Les titres sont posés en dernier. Ils ont été fabriqués à l’Atelier Quillet par l’équipe des doreurs. Ils sont en cuir.
Voici en vidéo quelques étapes de ce travail artisanal :
Si vous passez par Ars, je vous recommande d’aller jeter un coup d’oeil à ces cadastres napoléoniens refaits à neuf. Ils sont dans le bureau du service Urbanisme de la mairie. Le résultat est magnifique.
Lorsque j’ai pris la photo finale, j’ai eu besoin d’aide pour soulever un registre, tellement il est lourd. Il mesure 1 mètre de haut et 70 cm de large.
Mais quel patrimoine, et de quelles histoires d’Ars ces atlas sont-ils le témoignage…
Pour les toucher, il va falloir maintenant mettre des gants !
La réfection des deux tomes a coûté 4 219 € HT. Le Département en a financé 50 %, au titre de la Restauration du patrimoine documentaire historique.
Bravo pour ce superbe article. Sais-tu maintenant si ces cadastres ont été numérisés, afin qu’on puisse les consulter à distance ?
Merci
Eric (frère de Laurence)
Je ne sais pas, je vais me renseigner. Plonger dans ces archives est incroyable, ça raconte notre village il y a 180 ans. La magnifique restauration à l’identique m’a en plus scotchée… J’adore regarder ces métiers d’art. Et merci pour ton commentaire. Amitiés. Maryline