Incroyable et cocasse histoire que celle du bouc d’Ars-en-Ré ! Une vaste chasse au bouc fugueur s’est organisée dimanche 6 et lundi 7 mars.
Deux matinées consécutives, il a gambadé dans les champs. Un peu nargueur, content d’être libre, mais sans doute effrayé aussi.
En tout cas, j’ai beaucoup ri, même si l’affaire a été des plus sérieuses.
En fin de matinée, dimanche, les gendarmes de Saint-Martin sont prévenus par des automobilistes qu’un animal divague sur la route départementale d’Ars. Parallèlement, un monsieur signale aux pompiers d’Ars, alors en manoeuvre d’extinction de feu de bateau dans le port, qu’un « mouton » se balade sur la route, qu’il est dangereux pour la circulation, et « qu’il faut faire quelque chose ».
Les pompiers sont officiellement appelés. La chasse au mouton, qui s’avère être un bouc, dure plusieurs heures. Une dizaine de personnes essayent, en vain, de le canaliser. Dans le village, la nouvelle s’est répandue. La bête étant particulièrement rusée, il a été fait appel à un pompier spécialiste animalier, venu de La Rochelle. Vers 16 heures, David pompier à Ars réussit un superbe placage au sol, genre ballon de rugby. La bête est maîtrisée, et emmenée dans un enclos d’Ars, où broutent déjà des moutons. Le propriétaire du bouc va peut-être se manifester.
L’affaire est close, la situation sous contrôle.
C’est compter sans la débrouillardise de l’animal. Dans la nuit, il réussit à s’échapper de son enclos de fortune. Objectivement, il n’aime pas être enfermé, et on peut le comprendre.
Lundi matin, je vais à La Flotte, je tombe par hasard sur le bouc, au milieu de la route, à l’angle du virage de Foirouse. Mais que fait-il là ? Je pensais que l’histoire d’hier était terminée.
Ludovic, garde municipal à Ars, est sur le bord de la route. Il fait la circulation, muni d’un petit lasso, qui en temps normal peut servir pour les chiens errants. Je le sens inquiet. Le bouc court partout, traverse alternativement la route et les vignes. Il y a danger pour les voitures.
Je m’arrête. Curieux, le bouc s’approche de ma voiture. Oh que tu es beau ! Mais à un mètre, c’est fou ce qu’il sent mauvais ! Oh tu pues, toi ! Je ne m’hasarde pas à l’attraper par les cornes…
Il n’a pas l’air méchant, ses yeux sont même plutôt tendres. Il traverse la route, et va se réfugier dans le petit bosquet de l’autre côté de la route, puis il marche tranquillement vers les vignes. Le garde municipal le suit de l’oeil, tout en surveillant la circulation, très importante en ce lundi matin. Il attend un spécialiste animalier des pompiers de La Rochelle, le SDIS 17 ayant une seconde fois été sollicité.
Ludovic s’approche, le bouc est couché, calme, presque endormi. C’est peut-être l’occasion rêvée pour lui mettre le lasso autour du cou. Malin, le bouc fait semblant de dormir. Arrive Michel Jauffrais, 1er adjoint d’Ars.
Mais c’est quoi tout ce monde autour de moi ! Ça ne semble pas vraiment bon pour ma liberté retrouvée ! Ils ne m’auront pas comme ça…
Le bouc s’écarte, re-traverse la route et toujours tranquillement continue son chemin sur l’asphalte.
Cette voiture rouge ne présage rien de formidable pour moi.
Jean Bouillon, pompier a été dépêché par le SDIS 17. Il est le responsable départemental des animaliers. Il sort un grand lasso, au bout d’une longue perche.
Première tentative pour saisir le bouc.
La traque n’est pas aisée. Le bouc est futé. En dépit des tentatives d’approche, il galope à travers champ.
Qu’est-ce qu’il me veut le monsieur en bleu avec son lasso ? Avant qu’ils ne m’attrapent, je vais les faire courir ! Ils s’en souviendront.
Effectivement, pour un humain, même en pleine forme, courir dans les champs n’est quand même pas facile. Pleins gaz, le bouc galope, depuis l’entrée d’Ars jusqu’au virage de Foirouse. L’animal a une belle pêche. Heureusement, ce n’est ni un éléphant, ni un tigre, ni un lion !
L’histoire de cet animal en liberté commence à faire le tour des réseaux sociaux. Le bouc est sur Facebook, cela va de soi…
Mais à qui est ce bouc ? Tous ceux, qui de près ou de loin, côtoient ou possèdent des chèvres, ont été contactés. Personne n’a perdu son bouc, personne ne le connaît. Le mystère est entier. Tout ceci est bien étrange tout de même…
A la demande du spécialiste animalier, les employés des ateliers municipaux apportent des grains de maïs. Façon d’appâter la bête, afin de le mieux cerner.
Je vois bien leur manège. Pascal a beau secouer le seau, c’est pas comme ça qu’il va m’amadouer.
Incontestablement, le bouc s’avère imprenable par la voie classique du lasso. Il a de sacrées pattes, bien agiles. Décision est prise d’employer les grands moyens : endormir le bouc. C’est l’ultime solution face à une telle situation. Auparavant le pompier doit suivre une procédure : demander l’autorisation au pompier vétérinaire de garde au SDIS 17, pour intervenir au moyen un fusil chargé d’une flèche soporifique.
Il faut choisir la bonne aiguille, le poil du bouc est épais. Il faut évaluer le poids de l’animal pour doser correctement le contenu de la flèche. Mal dosé, ce peut être une mort assurée.
Pendant ce temps, le bouc continue sa route. Il repart vers le virage de Foirouse. Sur la route les voitures circulent dans les deux sens, elles sont obligées de s’arrêter, le bouc n’en fait qu’à sa tête. Les automobilistes sont à la fois médusés et amusés : Que se passe-t-il? C’est un bouc en liberté ! A qui est-il ? D’où vient-il ?
La chasse a bel et bien démarré. Le bouc se dirige vers la digue, tente d’escalader le talus.
Oh que c’est haut ! Je ne n’ai pas d’issue par là, après c’est la plage…
La voiture du garde est en travers de la route pour stopper la circulation et pour empêcher que le bouc ne continue sa folle équipée, encore plus loin vers le Boutillon. Jean-Marie, employé municipal, fait rempart de son corps.
Bloqué de ce côté, le bouc fait demi-tour.
Il se réfugie de nouveau dans le bosquet du virage de Foirouse, cinq personnes à ses trousses. Pan ! La flèche du pompier animalier le touche. Il retraverse les vignes et la route, cependant il semble un peu moins véloce.
Ah un peu de répit ! Pour que le produit fasse effet, il faut attendre 20 minutes, explique le pompier. Il est 12h, cela fait quelques heures que ce petit manège dure…
J’imagine ce qu’a dû être la traque du puma évadé d’un cirque en octobre 1962. L’île de Ré ne parlait que de cela, la population entière était sur sa piste…
Le bouc ne galope plus, il s’assoie, se relève, observe. Démarche cool. Il traverse le champ d’un bout à l’autre, et ce champ est immense.
De loin, nous l’observons. Mais quand va-t-il se coucher ? La piqûre va bien finir par faire de l’effet.
Je ne sais pas pourquoi, je me sens patraque. J’ai une sacrée envie de dormir, mais je n’y arrive pas. C’est peut-être l’iode ambiant ? Et puis toute cette agitation autour de moi, il y a des voitures qui s’arrêtent. Je n’ai pourtant pas l’impression de me donner en spectacle.
Il repart vers la route. Oh non ! Pas ça ! Il est totalement bizarre ce bouc. Quand va t-il se calmer ? Il paraît que le produit n’agit pas de façon optimale lorsque la bête est énervée, car l’animal devient alors moins sensible au somnifère. Cela parfois cela peut même provoquer l’effet inverse, nous dit le pompier animalier. Si tel est le cas, nous ne sommes pas sortis de l’auberge. Cela fait plus d’une demi-heure que la flèche a été tirée, et le bouc est toujours debout ! Il poursuit sa traversée.
Les vignes sont un bel abri. Chic, je vais pouvoir me gratter les cornes. J’ai pourtant une furieuse envie de dormir.
Dans la vigne, le bouc s’asseoit, se relève, s’asseoit, se relève…. Nous sommes suspendus au moindre de ses gestes. Chut, ne pas bouger, ne pas parler…
Pourvu qu’il ne devienne pas furieux.
La flèche l’a-t-elle touché ? Elle n’a peut-être effleuré que son dos, ses poils sont tellement drus. Les supputations vont bon train. Le pompier animalier est formel : il y a trop de bruit.
Monsieur bouc ne bouge plus. Après vérification à la jumelle, il semble s’être apaisé. Nouvelle tentative de l’attraper au lasso. Il n’est pas vraiment endormi, mais cela devrait pouvoir se faire.
Encore le lasso ! ça recommence ! Laissez-moi faire ma sieste tranquillement.
Et hop ! le bouc se relève. Teddy Moreau, des Petites Ecuries du Marais, qui passe par là, tente de l’appâter avec des quignons de pain dur. Rien n’y fait. La suggestion d’amener une chèvre auprès l’animal pour l’apprivoiser et le séduire n’est pas retenue…
A bonne allure, le bouc repart en direction d’Ars. Mais ma parole, il est ressuscité ! Quelle santé, quel tonus. La bête est sacrément coriace. Ce doit être un vieux spécimen pour tenir ainsi le coup.
De nouveau, il est décidé de mettre en place les grands moyens : une deuxième flèche de soporifique. A 100 euros la dose, cette histoire commence à coûter cher.
Quelques toutes petites minutes plus tard le bouc se couche, il dort. Ouf ! Le film est (presque) terminé.
Jean-Marie le tient fermement. Dans combien de temps va t-il se réveiller ? Qui sait, si d’un seul coup, il ne va pas se relever, ainsi qu’il l’a déjà fait. Le bouc semble quand même parti pour un gros dodo. Il respire, il a l’air d’aller bien.
Du côté des pompiers, mission accomplie. Il est 13h30.
Mais à qui donc est ce bouc ? Qu’en faire, puisque personne ne le réclame. Pas question de l’enfermer dans les ateliers municipaux à Ars, puisqu’il a déjà pris la tangente une fois.
André Léau accepte de recueillir le bouc, dans sa ferme de La Couarde. Allez le bouc, en route dans le van de Teddy Moreau, direction ton nouveau domicile.
Les petites chèvres sont toute émoustillées de voir un nouveau. Un bouc ! quelle surprise ! oh qu’il est beau ! quelle merveilleuse odeur ! oh qu’il sent bon !
Dommage pour le bouc qu’il soit en plein sommeil, car le comité d’accueil est parfait.
Lundi soir, j’ai pris des nouvelles du bouc. Dans l’après-midi il s’est réveillé. Il a peu un peu vacillé sur ses pattes, et il s’est vite recouché, sa nuit n’était pas encore finie.
Son propriétaire ne l’a pas réclamé. Qui sait, son destin est peut-être de couler des jours heureux chez Monsieur Léau ? Le bouc aurait 8 ans environ, donc pas très jeune, et il doit peser 35 kg. Avis de recherche.
Qui a pu penser qu’à l’île de Ré, on s’ennuie l’hiver ?
Voici une vidéo de l’épopée du bouc d’Ars-en-Ré. C’était un jour de grand vent, et pour ceux qui ont tenté sa capture, le souvenir de nombreux kilomètres parcourus à pied et en voiture.
Mais il est magnifique ce bouc 🙂
Oui il est très beau. Mais ne savons toujours pas d’où il vient et à qui il appartient ! Personne ne l’a réclamé…