14-18 à Ars-en-Ré. Derrière les noms et les mots, la vie

En 1914, Ars comptait 1 300 habitants, environ le même nombre qu’aujourd’hui. Mais la pyramide des âges n’était pas la même.

363 hommes ont été mobilisés pour partir au combat, soit près d’un tiers des habitants du village. Ils étaient majoritairement jeunes, ils avaient entre 18 et 59 ans. Qui étaient ces hommes ?Ars-en-Ré - Monuments au morts dans cimetière - 24 octobre 2018

Depuis deux ans, deux Casserons, Daniel Huet et Eric Legars, se sont transformés en historiens de cette douloureuse période du village.

Embarqués dans une véritable aventure, ils étaient loin d’imaginer qu’elle aboutirait à une semaine de commémoration à Ars, du 10 au 18 novembre 2018, organisée par l’AIA (Association Information Arsaise).

AIA - Ars-en-Ré - Daniel Huet et Eric Le Gars - 30 octobre 2018
Daniel Huet et Eric Le Gars.

Un simple questionnement peut vous emmener loin. “ Lors des cérémonies notre maire, Jean-Louis Olivier, égrenne les noms des disparus et les porte-drapeaux ajoutent : Morts pour la France. Le coeur se serre à cette évocation. 

Nous nous sommes aperçus que les 57 noms indiqués sur le monument du cimetière différaient de ceux énumérés. Ça nous a intrigué. En réalité, ils sont 66 décédés sur le Front, dont 5 tirailleurs sénégalais.

Pourquoi l’intégralité des 66 noms ne figure-t-elle ? Certains auraient-ils été oubliés ? L’idée est alors venue de comprendre le pourquoi et d’en savoir plus sur ces hommes. Tout est parti de là ” racontent les deux amis.

“ Nous avons alors interrogé les familles, pour tenter de détricoter tout cela. Certains n’étaient pas nés à Ars, mais ils vivaient ici au moment de la mobilisation et ils sont inscrits sur le monument. Et inversement des Casserons, morts au combat, n’y sont pas inscrits. Peut-être le sont-ils sur d’autres monuments quelque part en France ou dans des nécropoles ?

Nous sommes allés sur les tombes du cimetière. Ils ne sont qu’une quinzaine enterrés ici dans ce qu’on appelle le carré militaire.  A l’époque l’Etat a proposé aux familles le rapatriement gratuit des corps dans les villages, toutes ne l’ont pas désiré ”.Ars-en-Ré - Tombes des Morts pour la France 14-18 - 24 octobre 2018

Voilà comment de fil en aiguille, d’interrogations en interviews, de recherches dans des livres en explorations de contenus de tiroirs,  Daniel et Eric ont tiré les fibres d’une pelote de souvenirs vieux de plus de 100 ans.

Ars-en-Ré - Affiche commémoration 14-18 - novembre 2018

Munis des listes des noms des disparus, ils ont épluché la liste de recensement de la commune. Les écrits de Raymond Héraudeau, secrétaire de mairie dans les années 1980, les ont beaucoup aidé à cheminer.

AIA - Appel à contribution 14-18 - mars 2017

 

Au printemps 2017, un appel à contributions a été lancé dans le Phare de Ré. “ Au fil des jours nos recherches sont devenues un projet de village. Une centaine de personnes se sont senties concernées. Elles ont retrouvé des photos, des archives, des correspondances, des objets ” remercient-ils.

 

Pendant la guerre de 14-18, on s’est beaucoup écrit. Ceux qui étaient sur le Front attendaient des nouvelles de la famille restée au village. Ceux du village vivaient dans l’attente d’un courrier, signe que le fils, le mari ou l’ami était bien en vie.

En particulier, une famille d’Ars avait soigneusement mis de côté des correspondances. Un vrai trésor !  Exhumé des tiroirs, voilà de quoi appréhender la vie quotidienne des uns et des autres, au cours des cinq années. “ En fait, on dit toujours quatre ans de guerre. Mais la 2ème phase de démobilisation n’a eu lieu qu’en septembre 1919. Cinq ans c’est long pour pouvoir enfin rentrer chez soi… ” soulignent-ils.

Les précieux écrits témoignent de ce que chacun vivait de son côté, Ici et là-bas.  Cette matière a servi de base à l’exposition qui sera présentée à la Salle des Fêtes d’Ars, sous forme de quinze panneaux, que Michelle, adhérente de l’AIA, a mis en forme. Chaque intitulé de panneau reprend une phrase des correspondances.

Une dizaine de sujets sont évoqués. La mobilisation, le 2 août 1914. La vie dans les tranchées. La santé. La solidarité. La démobilisation, et ses conséquences pour le village rétais : la fermeture de la raffinerie de sel, du chantier naval, de la sardinerie et de la voilerie. Et d’autres thèmes à découvrir.

“ Nous avons restitué une partie des écrits tels qu’ils étaient, tel que le Rétais parlait, même avec des fautes d’orthographes, peu importe. Ce sont des vrais mots de la vraie vie. Les informations récoltées sont tellement denses que nous n’avons pas pu tout faire figurer sur ces panneaux. Toutefois le site internet de l’AIA, en cours de constitution, présentera l’intégralité de nos découvertes ”.

Afin de concerner les enfants d’aujourd’hui, un encadré particulier figure sur chaque panneau.

Les lettres et cartes postales sont émouvantes, aux dires de ceux qui les ont lues.

Le service Patrimoine de la  Communauté de Communes de l’île de Ré a prêté une borne-audio, à partir de laquelle ces mots pourront être écoutés, tels qu’ils étaient écrits dans leur simplicité sur les cartes postales et dans les lettres. Plusieurs Casserons se sont pliés au jeu de l’enregistrement : Jeanine, Etienne, Maryse, Bénédicte. Et Sabine a réalisé les montages son.

“ Au travers des échanges entre les soldats et ceux restés à Ars, certains vont sans doute découvrir le quotidien de leur famille à cette époque. De loin les Poilus donnaient des conseils pour la vie de tous les jours et ils demandaient des nouvelles de tous. En retour la famille racontait ce qui se passait ici. Les écrits ont rendu vivant le pan d’histoire des cinq années de guerre : la réalité du quotidien, les souffrances, les joies rares, les inquiétudes, l’attente…  Au retour de la guerre, les Poilus n’aimaient pas raconter ce qu’ils avaient vu et enduré affirment-ils.

C’est ainsi que la manifestation est intitulée 14-18. Mémoire d’un village rétais. Une question vient à l’esprit en voyant la photo Qui est cette jolie jeune femme au regard un peu mélancolique ? Ars-en-Ré - Flyer expo 14-18 - novembre 2018

Outre l’expo, du 10 au 18 novembre une série d’événements sont organisés : ciné-concert,  présentation de BD autour du thème de la guerre, atelier-cuisine avec les enfants, dédicace d’écrivain, pièce de théâtre jouée par les Ré-Acteurs,  conférence de Jacques Boucard. Et en clôture de la semaine, un concert de musique donné par  trois chorales de l’île de Ré. Tout est gratuit.

Ars-en-Ré - Flyer expo 14-18 - novembre 2018

Le tout est complété par une exposition d’objets de la guerre et de la vie locale quotidienne en 14-18.

Creusant le sujet à fond, les deux “ historiens ” sont même allés jusqu’à élaborer des cartes du Front, en partenariat avec la Faculté de géographie de la Rochelle. Grâce à la géo-localisation  il sera aisé de voir où sont tombés les 66 Morts pour la France d’Ars-en-Ré.

Ainsi, lorsque le maire d’Ars-en-Ré énumérera les noms, nous pourrons imaginer qui étaient ces vivants. L’équipe de l’AIA a soumis l’idée d’édifier une petite stèle au pied du monument du cimetière afin d’honorer la mémoire des neuf noms qui n’y figurent pas.

Par ailleurs, chaque Poilu ayant été bien identifié, une fiche récapitule qui il était, son parcours militaire détaillé avec, quand cela été possible, une photo. Et même pour ceux qui ne sont pas revenus une photo de la tombe, lorsqu’elle pu être retrouvée.

 

AIA - Ars-en-Ré - Marie-Hélène Chastanet - 30 octobre 2018
Marie-Hélène Chastanet.

“ Les membres de l’association arsaise se sont beaucoup investis. De près ou de loin, chacun a apporté sa patte aux manifestations qui vont se dérouler à Ars. C’est un gros travail collectif assure Marie-Hélène Chastanet, présidente de l’AIA.

 

Ars-en-Ré - Equipe AIA - 5 juin 2018

Le Service Patrimoine de la Communauté de Communes a épaulé l’équipe en apportant divers conseils dans l’orientation du projet. Le Musée Ernest Cognacq a ouvert ses archives, d’anciens exemplaires du magazine Le Soldat rétais ont permis d’apporter des compléments d’informations. Le service des Archives de la mairie de La Rochelle a mis à disposition une partie de son fonds iconographique.

Tous sont remerciés dans le flyer de l’expo.Ars-en-Ré - Flyer expo 14-18 - novembre 2018

Monter un projet de telle envergure coûte bien évidemment des sous.

Label Mission centenaire - novembre 2018En amont, l’AIA a soumis un dossier à la Mission du Centenaire. Ce groupement d’intérêt public a été créé par l’Etat en 2012 dans le but de entre en oeuvre le programme commémoratif du centenaire de la Première Guerre mondiale.

Un label, Centenaire officiel, a été décerné aux projets les plus innovants et les plus structurants pour les territoires. 14-18, Mémoire d’un village rétais a obtenu le label, accompagné d’une subvention de 1 000 €.

Deux autres subventions ont été attribuées. Par la Communauté de Communes de l’île de Ré, 3 000 €, et par la commune d’Ars, 2 000 €. Mais cela ne suffisait pas, l’AIA a cassé sa tirelire pour compléter.

Cette aventure pourrait aussi déboucher sur la publication d’un ouvrage. Mais il faut que les deux historiens, Eric et Daniel, reprennent un peu de souffle après le travail de fourmis qui les a emmené bien plus loin que ce qu’ils avaient pensé.

“ Depuis deux ans je vis dans les tranchées, ça me réveille parfois la nuit. Toutes les pièces du puzzle étaient éparpillées, comment les remettre dans l’ordre ? ” confie Eric Le Gars. “ J’ai fait beaucoup de porte à porte pour rencontrer les familles. J’ai rencontré des personnes que je ne connaissais pas ” livre Daniel Huet.

Comme quoi, la mémoire de guerre s’avère fédératrice.

Dans les jours qui viennent la France va célébrer le centenaire de l’armistice de la Grande Guerre. Huit millions de Français ont été appelés sous les drapeaux. Avec 1,45 million de morts et de disparus, et 1,9 million de blessés, la plupart lourds, la guerre a touché 1/3 de la population active masculine.

Après, on disait plus jamais cela et que 14-18 était la Der des Ders. 20 ans plus tard ça recommençait…

A l’île de Ré, une série d’événements vont prendre place dans les dix villages. Le service Patrimoine de la Communauté de Communes les a répertorié. La brochure est disponible dans les mairies et dans les bureaux du tourisme.

La salle de spectacle La Maline, actuellement itinérante, va projeter le film Au Revoir Là Haut, une comédie dramatique réalisée par Albert Dupontel. Il a reçu cinq prix lors des César 2018.  Ça se passe à Ars aussi, et c’est le mercredi 7 novembre à 18h15 dans la salle des Fêtes.

 

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