Digues : de la levée de terre au Génie civil

Pendant les Journées du Patrimoine l’opportunité a été donnée d’en savoir un peu plus sur l’histoire des digues de l’île de Ré. L’équipe du Pays d’Art et d’Histoire de la Communauté de Communes a emmené deux groupes, les 17 et 18 septembre, pour un exposé sur les premières levées de terre jusqu’à la réfection actuelle de la digue du Boutillon.

Ces histoires de digues ne datent effectivement pas d’hier. La légende d’une carte, dessinée par Claude Masse, indique : Carte de l’Isle de Ré pour représenter le désordre marqué en Jeaune, causé par l’orage du 9 au 10 jours de décembre 1711.

Carte de l'Isle de Ré - décembre 1711

L’original est conservé aux Archives nationales de la Défense à Vincennes. A cette époque, les cartes n’étaient pas dessinées dans le même sens qu’aujourd’hui…

Elle montre bien là où la mer est passée il y a 304 ans ! Les traits verts indiquent les nombreuses brèches. Il ne restait pas grand chose des digues, surtout dans le nord de l’île.

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Pour préparer l’exposé, Stéphanie Le Lay, responsable du Patrimoine à la CDC s’est, entre autres, inspirée du Cahier de la Mémoire Raz-de-marée sur Ré – Les Rétais et les vimers, rédigé par Pierre Tardy et Jacques Boucard.

 

 

 

« Dès le Moyen-Age, depuis que les hommes se sont économiquement installés sur l’île de Ré, on a protégé les terres des assauts de la mer. A cette époque des vignes ont été plantées et des marais salants ont été creusés. Ils constituaient les ressources essentielles des habitants, qu’il fallait absolument sauvegarder » explique t-elle. 

Le Martay, le point le plus étroit de l’île, est un point stratégique. Très vite, au Moyen Age, la population s’organise pour protéger la façade du Pertuis d’Antioche, la plus fortement soumise à la houle qui y tape fort. A cet endroit, juste derrière la côte, se situent les marais salants, il s’avère nécessaire de les protéger d’une trop forte invasion d’eau, et par conséquent de leur destruction.

A ce sujet, un des premiers écrits date de 1537, à l’époque on parle d’ouragan. Ce qui s’est passé paraît terrifiant :


Les habitants se rassemblent alors pour protéger le bien commun, ils édifient des levées, sortes de petites digues. C’étaient des tas de terre et d’argile marine que les Rétais consolidaient avec des pierres. Chaque propriétaire de marais avait la responsabilité de la digue de son marais. Cependant le propriétaire n’étant pas toujours l’exploitant, l’entretien est confié à son saunier.

Cette situation dure jusque vers 1670. A la fin du 17ème siècle, l’Etat Royal intervient alors sur la protection des côtes. « Louis XIV a fait de l’île de Ré une place forte. Il fait faire des cartographies et des relevés des digues édifiées par les Rétais. En 1711 un ouragan est décrit comme particulièrement violent et destructeur. Le Roi dépêche l’Armée royale sur place afin de venir en aide aux habitants pour réparer les brèches. Il envoie aussi Claude Masse, cartographe et François Ferry ingénieur. Les deux travaillent sur les fortifications de l’Atlantique, leur bureau est situé à La Rochelle. La carte de Claude Masse indique précisément les dégâts. Le Roi décide de lancer des travaux de construction de digues, avec des techniques spécifiques. Elles étaient sûrement moins artisanales que celles construites de leurs propres mains par les Rétais. Les travaux sont financés pour moitié par les propriétaires de l’île. Et pour l’autre moitié par les Rochelais, via une augmentation exceptionnelle de la taille, l’impôt direct, alors que les Rétais étaient exemptés de cet impôt » indique la conférencière.

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Au 18ème siècle, les choses évoluent. En témoigne la petite digue maçonnée qui est encore en bon état, et que l’on peut longer avant d’atteindre le Boutillon. Il y a deux hivers, sous l’effet de la houle, elle était apparue à nu. Depuis elle s’est largement ré-ensablée.

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En concertation avec Jacques Boucard, la CDC va faire appel au service Archéologique du Département, et à celui de la DRAC (Direction Régionale des Affaires Cultureles), afin de dater plus précisément cette diguette. Un relevé et un profil vont être entrepris. Au vu du maçonnage et des moellons taillés en cubes, les historiens pensent qu’elle est du début du 18ème siècle.

Vraisemblablement, au départ, ce devait être une levée de terre recouverte de bri, d’argile marine, dans lesquels des blocs de pierre ont été figés pour ne pas laisser d’espace entre les blocs. Le bri faisant joint entre elles. Stéphanie nous fait remarquer qu’elle ressemble à une rue pavée du 18e siècle. Oh oui, c’est vrai ! « Des chaînages, des pierres placées à la verticale, permettent de la solidifier, et de la tenir tronçon par tronçon. En Génie civil, la technique est la même aujourd’hui où la construction se fait par tronçons, avec des joints d’étanchéité ». 

En haut de la digue, trois ou quatre rangées de tamaris ont été plantées. Leur système racinaire la consolide encore plus. Jadis, des fagots de branches sèches de tamaris étaient aussi utilisés pour combler les brèches des digues.

Au 19ème siècle, les Ponts et chaussées, donc l’Etat, prennent en charge la construction des digues. Il est de plus en plus demandé aux Rétais de participer financièrement. Des années 1850-1960 subsistent encore quelques vestiges, toutefois difficiles à percevoir car les digues ont été régulièrement reprises au fil des années. A l’époque elles étaient toujours construites à partir de gravats et de bri, et elles étaient recouvertes de pavés.

Sont aussi apparus les parapets hauts, construits droits. « Le modèle va bien sûr évoluer, mais déjà au 19ème on peut parler de Génie civil » assure Stéphanie. Egalement des épis, en bois ou en pierres, ont été créés. Ils permettent de contenir le sable, en faisant barrière, une technique toujours adoptée de nos jours.

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Les Rétais doivent entretenir leurs digues, mais avec les guerres l’entretien est moins constant, la main d’oeuvre manque.  Dans les années 1950, des travaux de consolidation ont eu lieu. Au fil des ans la surveillance et l’entretien des digues ont été laissées quelque peu à l’abandon, avec de maigres réparations de ci et de là.

Boutillon - Journées du Patrimoine - 17 septembre 2015

Et maintenant place à la digue du Boutillon, ouvrage du 21e siècle. L’ouvrage en reconstruction est exactement au même endroit que le précédent qui avait été précédemment réédifié en 1866.

Il a tenu 144 ans, jusque ce que la tempête Xynthia du 28 février 2010 explose les parapets et défonce le ventre et les pieds de la digue qui était en très mauvais état. Sa reconstruction était toutefois prévue avant même que la tempête ne finisse de la détériorer.

Sébastien Navarre - Conseil départemental

Le Département de la Charente-Maritime a pris la maîtrise d’ouvrage des digues, mais ce qui n’est pas le cas de tous les départements en France.

Sébastien Navarre, est au adjoint au chef de service Protection du Littoral au conseil départemental. Il a en charge le suivi du Plan digues. Il explique les enjeux et le pourquoi de la reconstruction des digues, sachant que la protection des personnes et des biens est l’objectif prioritaire.

Les digues sont reconstruites dans le cadre du PAPI (Programme d’Actions de Prévention des Inondations). Les projets sont validés par l’Etat qui co-finance les opérations à hauteur de 40 %. Les sommes sont prélevées sur le Fonds Barnier, dédié aux catastrophes naturelles. Sur nos quittances d’assurances figure d’ailleurs le pourcentage de cotisation pour remplir ce fonds. En complément, la Région Poitou-Charentes, le Département de la Charente-Maritime et la Communauté de Communes de l’île de Ré participent chacun à hauteur de 20 %. L’ouvrage coûte 10 millions €.

« Comme c’est le cas pour toute l’île de Ré, la digue du Boutillon est située en site classé. L’Etat a souhaité qu’elle soit refaite à l’identique, et que son intégration paysagère soit optimisée. L’ouvrage est moderne, il a donc fallu trouver des compromis techniques. C’est pourquoi du côté estran la digue est recouverte de pavés de pierre, et du côté route un matelas paysagé à été envisagé pour couvrir les 700 mètres linéaires de béton » indique le technicien.

La hauteur de la digue est au-delà des fameux Xynthia + 20, la cote de référence. A cet endroit, la mer tape fort, des franchissements de vagues sont habituels. L’aspect, e particulièrement  la courbure du saut de vagues sont plus accentués que ce qui existait sur la digue ancienne. Tout au long et en contrebas de la digue, un caniveau a été creusé, pour récupérer les eaux et les renvoyer à la mer. C’est la raison pour laquelle des plantations ne peuvent pas être faites à cet endroit précis. Le talus enherbé végétal en est encore au stade de la planche d’essai. Un suivi est actuellement opéré pour examiner le comportement de ce socle de plantations. Une fois l’hiver prochain passé, décision sera prise en ce qui concerne la végétalisation, les plantations définitives ne devraient intervenir qu’à l’automne 2016.  

Nous apprenons ce jour-là que la surface totale de pavage est de 5000 m2 ! Et aussi qu’entre le gravier et le béton, l’épaisseur est d’un mètre…

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Au plan technique particulièrement, la nouvelle digue doit répondre à des contraintes spécifiques pour résister à la force de la houle. Comme dans l’ancien temps finalement, des caissons ont été construits. Entre deux, des joints de dilatation en bitume devront faire l’objet d’une surveillance pointue dans les années à venir. A l’issue de la construction de l’ouvrage, la Communauté de Communes en aura la gestion et devra rendre régulièrement des comptes : inspection, radiographie de la digue, entretien, remplacement des pavés en cas de descellement, vérification du matelas végétal..

Il reste encore dix mois de travaux avant que la digue du Boutillon ne soit terminée, c’est-à-dire  l’été 2016.

2 réflexions au sujet de « Digues : de la levée de terre au Génie civil »

  1. bonjour
    merci pour ce site qui nous relie à l’ile de ré lorsque nous sommes redevenus terriens. Je signale qu’il ya egalement une diguette parallèle au chemin des soupirs aux Portes entre les villas et la pointe de la redoute. Il serait interessant de la dater dans le cadre du travail que veut entreprendre Mr Boucard avec la DRAC. je peux vous envoyer des photos si vous le desirez. Très cordialement

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