Philippe et Barbara Maynial m’ont toujours dit que le Fort du Grouin, à Loix, était « un fort pour 40 hommes et leurs 40 chevaux« . Il fait partie de la dizaine d’ouvrages militaires recensés à ce jour, construits sur un modèle totalement identique.
Il a été construit, en pierres de taille, vers 1740, sur des plans de Vauban, architecte militaire de Louis XIV. Il a été ensuite déclassé, ce qui signifie sans intérêt stratégique, puis ré-armé vers 1840. il retrouve alors toute son utilité, comme « fort de guet » pour informer La Rochelle de tous les mouvements de bateaux et de flottes qui circulent dans le Pertuis breton. Par la suite, il est totalement désaffecté.
Après la deuxième guerre mondiale, en 1949, il est vendu aux enchères publiques, à la bougie, par les Domaines. Jacques et Anne-Marie Maynial, un couple parisien l’achètent. Ils venaient entre les deux guerres en vacances à La Couarde, un jour ils décident d’acquérir une maison. Ce fort était justement à vendre. « Un pari un peu fou. C’était l’isolement total à deux kms du centre de Loix. C’était la seule habitation à la ronde ! » s’en étonne encore Philippe Maynial, leur fils. Une famille princière russe qui voulait se porter acquéreur n’a pas pu, car à cette époque il fallait être Français pour pouvoir acheter aux Domaines.
Le fort était encore en bon état, mais une partie du parapet extérieur était écroulé, beaucoup de ses pierres avaient servi à la construction de maisons du village. Les nouveaux propriétaires décident d’agrandir les ouvertures qui, à l’origine n’étaient que des soupiraux. De gros travaux…
Au bout d’un an, ils y séjournent avec leurs trois enfants, deux mois l’été, pendant les vacances. Le fort est inauguré, en 1950, en grandes pompes, avec la venue de la fanfare, à pied depuis le centre de Loix, maire et curé en tête. Mais il leur faut régler trois problèmes : l’eau, l’électricité et le téléphone. Au bout de 25 ans de patience ils arrivent à leurs fins. Ils ont financé, à titre personnel, le coût des canalisations d’eau (dans les années 60), de la ligne électrique et des poteaux (dans les années 70), et l’installation d’une ligne téléphonique (vers 1975), entre le fort et le village. La route était alors en pierres blanches, elle n’a été bitumée que dans les années 90. Tout au long les propriétaires ont planté des cupressus, malheureusement décimés depuis par les tempêtes. Au milieu du XXème siècle le fort était entouré de levées de terre, artificiellement montées par l’homme. Des cartes postales en attestent. Au fil du temps la mer a rongé cette dune arrière. Dans les années 60, la DDE a crée deux renforts, l’un en pierre l’autre en bois, afin de ré-ensabler, avec succès, la petite plage située derrière le fort.
Le fort est en site classé, toutefois les propriétaires n’ont jamais accepté qu’il soit inscrit au catalogue des monuments historiques. « La plus belle pièce de la maison c’est la terrasse de 150 m2 qui offre un panorama unique sur l’île de Ré » affirme Philippe.
Tous les dimanches, la famille allait à la messe, un banc de cinq places était réservé au 5ème rang gauche, avec des plaques en cuivre aux noms de chacun. A l’issue de la célébration, le curé Bancarel, venait déjeuner au fort. Loix était sa dernière affectation, après un long sacerdoce en Guadeloupe. « Il se désolait d’être à Loix, au milieu de fidèles avec lesquels il avait peu de contacts. Il se racontait et se livrait à mon père, avocat puis producteur de films. Il se réjouissait vraiment de notre venue » se souvient Philippe. La famille était accompagnée d’un chauffeur-homme à tout faire, un Japonais, Monsieur Hichida, qui terrorisait les Loidais en raison de l’effroyable réputation de cruauté des Japonais pendant la guerre. « Ils n’osaient lui parler. Et pourtant ils lui reconnaissaient des talents de pêcheur et de chasseur. Il était le spécialiste des bouquets pêchés la nuit derrière le fort, et il posait des collets à lapins très efficaces ! ».
Pendant cinquante ans, la famille Maynial a passé toutes ses vacances au fort. Anne-Marie Maynial, se baignait tous les jours, sur la plage du Grouin, même encore à 80 ans. Ces vacances furent des années de grand bonheur : « La vie au fort était très agréable. Nous avions un voilier amarré, avec une simple ancre, dans la Fosse de Loix. Nous passions notre vie sur l’eau, à deux pas, dès que les devoirs de vacances, obligatoires pour tous les enfants, étaient terminés« . Souvent les cousins venaient s’ajouter à la maisonnée, pour un camping improvisé dans le jardin.
En 2005, de gros travaux s’imposaient de nouveau. Du haut en bas, le fort a été refait à neuf et modernisé avec le confort d’aujourd’hui. « Bien loin des soirées où on s’éclairait à la lampe à pétrole et où on se faisait livrer l’eau dans des grandes tonnes tirées par des charrettes à boeufs » .
Le Fort du Grouin a été mis en vente aux enchères, à la bougie, le 25 juin 2013. Plus de 150 personnes l’ont ainsi découvert lors des journées de présentation « portes ouvertes ». Une famille parisienne l’a acquis pour en faire une propriété d’agrément. L’histoire se poursuit, dans la même veine…
Un modèle identique de fort existe à la Pointe des Poulains, à Belle-Ile. Il a été la propriété de la comédienne Sarah Bernhardt à la fin du 19ème siècle. Elle y venait en vacances avec une troupe d’amis pour se reposer et répéter son rôle dans les futures pièces qu’elle allait jouer. Elle donnait des spectacles devant le fort pour les gens du pays. Aujourd’hui c’est un musée à la gloire de la tragédienne. La similitude des deux bâtiments et des deux histoires est plutôt étonnante !
Bonjour,
Passionné de tout temps par la vie insulaire, le hasard veut que je connaisse les forts de chacune de ces deux iles. Mais je découvre ici l’histoire de leur propriétaire.
Merci !
Emmanuel