Mazarin dans l’église d’Ars-en-Ré ?

Entreprendre de gros travaux de restauration d’une église, vieille de 900 ans, amène son lot de surprises. L’église Saint-Etienne d’Ars-en-Ré n’échappe pas à la règle. Depuis plus de quatre ans, c’est un véritable feuilleton auquel nous avons droit. Elle a été re-ouverte au culte le 20 juillet.

Ces dernières semaines ont confirmé une découverte d’importance patrimoniale et historique : une litre seigneuriale, qui pourrait être attribuée au cardinal Mazarin.

L’histoire a débuté en janvier 2019. En faisant tomber les vieux enduits, les Compagnons Réunis ont décelé une sorte de rectangle coloré sur un des piliers du choeur. Etrange… Des vestiges de trois ou quatre pompons sur les côtés droit et gauche, de la poussière d’or, comme la forme d’un chapeau en haut… Il faut avoir de l’imagination ou bien être fin connaisseur en patrimoine pour penser que cette découverte peut être intéressante. Pour ma part, à l’époque, je ne voyais rien du tout de ces détails ! Alors qu’Elsa Ricaud, architecte du Patrimoine, qui a suivi les travaux de restauration de l’église, semblait déjà lire la trouvaille au travers des couleurs et des formes.

Au vu des premières photos prises il y a presque deux ans, bien malin celui qui pouvait imaginer la suite…

Fort heureusement les vestiges n’ont pas été recouverts dans l’attente d’investigations plus poussées.

Alerté fin janvier 2019 le service Patrimoine de la Communauté de Communes, dirigé par Stéphanie Le Lay, contacte Christian Davy, spécialiste en peinture murale et fin connaisseur des blasons et des armoiries. Au vu des photos, quelques quatre mois plus tard, ses premières remarques ont été :  » J’y ai reconnu le chapeau et les retombées à plusieurs étages de glands d’un cardinal ainsi qu’un grand manteau fourré d’hermines. En revanche, rien n’apparaît pour le moment sur l’armoirie elle-même (détruite ou encore à dégager ?). Ces indices signalent un haut dignitaire de l’Eglise qui place ses armoiries sur un manteau de parade généralement réservé aux pairs de France « .

La nouvelle association « Les Amis de l’église d’Ars-en-Ré décide de prendre à sa charge la conservation de ce que nous appelions encore entre nous  » le blason « .

A l’automne 2020, Lucie Roques, restauratrice d’art, est missionnée pour ce travail. C’est elle-même qui était déjà longuement intervenue pour mettre à jour les croix de consécration dans l’église.

De nombreux questionnements lui viennent alors à l’esprit :

1 – La couche de chaux couleur Terre de Sienne, qui constitue le fond de la peinture, est très épaisse. Son liant a disparu. La peinture du blason, apposée sur cette base de chaux est fine et fragile et cassante. Afin de sauver la peinture la couche de support d’origine doit être re-fixée.

2 – Au centre, en haut, on distingue une ornementation sous laquelle apparaît un fond noir et de la dorure. Toutefois pour observer la dorure il faut avoir de bons yeux et aller constater de très près !

3 – Un petit morceau de manteau blanc apparaît. S’agit-il d’hermines ?

4 – Dans la partie haute on distingue un arrondi rose pâle et noir avec de chaque côté des sortes d’agrafes, auxquelles sont attachés des glands.

5 – Des pompons roses apparaissent nettement, surtout du côté droit du blason.

6 – L’ensemble s’avère extrêmement lacunaire. Et donc peu ou pas lisible dans son ensemble.

Fin octobre 2020, venu sur place Christian Davy commente :  » Ces fragments de peinture du XVIIe siècle, même lacunaires, suscitent énormément d’intérêt. Comme pour toute peinture murale, ils sont extrêmement fragiles en raison, entre autres, de l’humidité ambiante et de la transformation des pigments au fil du temps. Ici nous avons l’image d’un puzzle dont il faut tenter de retrouver l’image modèle. Lucie Roques a bien fait le travail de consolidation de façon à ce que les générations suivantes puissent bénéficier de ce témoin historique. Mais il n’est pas question qu’il soit repeint « .

Au plus près des armoiries découvertes, Christian Davy confirme qu’il s’agit bien de celles d’un cardinal. Mais il précise :  » C’est rare que l’on trouve dans un lieu une seule armoirie, surtout pour un personnage aussi important que Mazarin. A cet emplacement, à une telle hauteur, dans le vaisseau central, nous sommes en présence d’une litre seigneuriale. Le seigneur fondateur avait le droit de peindre ses armoiries en hauteur pour montrer sa prééminence. Le droit de litre était jalousement surveillé. Ce droit était honorifique, il fut aboli par la Révolution. Lorsqu’il était abbé de Saint-Michel en L’Herm, de facto Mazarin était aussi propriétaire du prieuré d’Ars, dont l’église ».

En vidéo découvrons, en direct, les remarques du spécialiste des peintures murales :

Christian Davy a effectué des recherches. Voici à quoi ressemblait le blason de Mazarin. Effectivement on y retrouve le chapeau et les glands, la couronne et le manteau d’hermines.

Jules Mazarin, Italien, est né en 1602. Il fut fin diplomate et homme politique. On a souvent dit de lui qu’il était une éminence grise et qu’il aimait beaucoup l’argent.

En 1641 il fut élevé au titre de cardinal par Richelieu. Cette dignité ecclésiastique équivalait à un titre de prince d’église. Il ne fut jamais prêtre. Mais à l’époque le cardinalat n’exigeait pas la prêtrise.

En 1646, la régente Anne d’Autriche lui assure la charge de grand maître de la navigation, englobant le gouvernement de l’Aunis, avec La Rochelle, Brouage, et les îles de Ré et d’Oléron. Après la Fronde (1648-1653) la reine lui cède officiellement cette charge et tous les avantages financiers y afférent.

Les ressources de la province étaient considérables : salines et droits perçus dans les ports. Le sel ! De l’or or blanc, une richesse incommensurable, une source de profits colossaux à l’époque où le réfrigérateur n’existait pas, lorsque le sel servait notamment à conserver les aliments.

Du sel Mazarin tira 450 000 livres par an. En échange le cardinal devait, entre autres, entretenir les bâtiments de l’abbaye de Saint-Michel en L’Herm en Vendée, défrayer les moines et rémunérer les économes et les procureurs qui géraient les domaines. Mais malgré cela, la différence entre recettes et charges a assurément dû lui laisser quelques substantiels subsides !

Dans son livre La Fortune de Mazarin Claude Dulong relève :  » En 1651, Mazarin a écrit avoir régulièrement versé 200 livres par an à chacun des seize moines de Saint-Michel en L’Herm, soit 3 200 livres. Mais il s’agissait alors de riposter aux accusations des moines qui prétendaient n’avoir jamais reçu le nécessaire ni pour eux ni pour l’entretien des bâtiments et réclamaient à cette fin les 2/3 de revenu. Inadmissible s’exclamait le cardinal ! …. Quand les moines de Saint-Michel en L’Herm intentèrent une action contre le cardinal pour obtenir les 2/3 du revenu de ce bénéfice, que dit-on a Anne ? Non pas certes que le cardinal refusait cette amputation de son profit, mais que les moines menaient mauvaise vie, ils ne respectaient plus la règle et que certains avaient même des concubines ! Si la chose était vraie, elle n’avait jusque là pas gêné Mazarin. Seulement il connaissait assez l’horreur qu’inspirait à une Espagnole dévote toute manifestation d’impiété et de scandale pour qu’en apprenant ces faits elle ne manquait pas d’agir, comme il le suggérait, auprès de l’évêque du diocèse ou même du lieutenant criminel, afin qu’une action fût intentée contre les moines ».

Et par ailleurs, l’historienne indique que  » Mazarin avait la plus grosse fortune jamais réalisée sous l’Ancien Régime « .

 » Saint-Michel-en-l’Herm et l’île de Ré : Au XI^e siècle, le duc d’Aquitaine, Guillaume Le Grand, soustrait l’abbaye vendéenne de la domination des seigneurs angevins pour la placer sous son autorité directe. Cette autonomie s’accompagne de nombreux dons de propriétés afin d’accroître les revenus de l’établissement monastique. Ainsi, les îles d’Ars et de Loix  sont données à l’abbaye qui y installera par la suite des marais salants et fera construire le prieuré Saint-Etienne.

Savary III de Mauléon, seigneur du Poitou au début du XIII^e siècle possède l’île de Ré ainsi que des terres s’étendant de Châtelaillon aux Sables-d’Olonne. Il se fit protecteur de l’abbaye et confirma les donations ultérieures. A sa mort en 1233, il se fit enterrer dans le chœur de l’église abbatiale de Saint-Michel-en-l’Herm. 

Naissance de l’abbaye royale : En 1516, suite au Concordat de Bologne, l’abbaye de Saint-Michel-en-l’Herm devient abbaye royale. Le roi nomme désormais directement les abbés parmi les grands personnages du royaume. L’abbaye jouit d’une influence importante notamment car elle dispose de revenus très importants, ce qui en fera d’ailleurs une cible de premier ordre durant les Guerres de religion.

Mazarin, abbé de Saint-Michel-en-l’Herm : Mazarin devient abbé de Saint-Michel-en-l’Herm en 1647et le restera jusqu’à sa mort en 1661. Sous son abbatiat, il s’efforça à diviser de façon stricte la mense conventuelle (destinée aux moines) et la mense abbatiale. Dans son testament, Mazarin lègue 2 millions de livres ainsi que les revenus de son patrimoine pour la fondation d’un collège (aujourd’hui Institut de France) destiné aux Quatre nations (Pignerol, Alsace, Artois et Roussillon). Quinze gentilshommes de chaque nation pourront être accueillis dans ce collège pour parfaire leur éducation. 

En 1669, les revenus de la mense abbatiale de Saint-Michel-en-l’Hem sont donc réunis à ceux du Collège des Quatre nations ou Collège Mazarin.

En 1674, le Collège dispose des biens de l’île de Ré notamment : le prieuré Saint-Etienne à Ars, des marais salants (Les Moines, la Groie des Moines, à Loix) et une demeure rue du Havre (n°40-44) à Ars « .

Nous ne sommes pas vraiment sûrs à 100 % qu’il s’agit bien de Mazarin. Mais à quel autre cardinal pourraient donc être attribuées ces armoiries ? Il a été le seul cardinal propriétaire de l’église d’Ars. Dans ce cas, la litre seigneuriale a été peinte entre 1647 et 1661. Elle a près de 400 ans !

Faut-il se réjouir de la découverte de la présence de Mazarin dans l’église d’Ars ? Ah oui, car cette litre seigneuriale est unique à l’île de Ré. De surcroit elle est peinte directement sur un pilier, ce qui semble être rare. De telles litres de Mazarin existent-elles à l’intérieur de bâtiments français dont le cardinal était propriétaire ? Et si oui, y en a t-il peintes directement sur les murs ? Le questionnement reste ouvert…

L’enquête ne fait que débuter. Ceux présents le jour de la venue de Christian Davy aimeraient bien en savoir encore plus…