Se familiariser aux techniques de production de sel de l’île de Ré et observer les pratiques commerciales, tel était le but du voyage d’études de deux sauniers guinéens, de la région de Boffa.
Les deux semaines passées, du 6 au 18 août, ont permis de multiples échanges fructeux entre les sauniers rétais et ceux de ce pays d’Afrique de l’Ouest.
Le 12 août, Oumar Sylla et Abdoulaye Kieta étaient dans le marais dit des Barbotins, à la Prise de la Groix, à Saint-Clément des Baleines.
On imagine aisément qu’ils ne sont pas venus chez nous par hasard. Depuis 1991, dans le cadre de la coopération décentralisée, le Département de la Charente-Maritime collabore avec la République de Guinée. Et plus particulièrement avec la Préfecture de Boffa, sur des sujets de développement économique, via le soutien à des filières locales.
Située à 150 kilomètres au nord de Conakry la capitale du pays, Boffa compte près de 30 000 habitants et 165 000 pour la Préfecture entière.
Et à Boffa il y a du sel. Huit coopératives produisent en moyenne 300 tonnes par an.
L’association Charente-Maritime Coopération (CMC) a été créée il y a 25 ans, afin de mettre en œuvre le programme de coopération décentralisée du Département. Elle est aujourd’hui présidée par Jean-Marie Roustit, élu du canton de Matha, vice-président du conseil départemental. François Blazy en est le secrétaire. Sébastien Rodts est chargé de mission de coopération internationale au conseil départemental.
La collaboration d’aide au développement entre les deux territoires dure favorablement depuis toutes ces années. D’autres programmes, autres que le sel et l’entretien des pistes, sont actuellement menés, en particulier l’accès à l’eau potable.
Le 12 août, accompagnés de Jean-louis Olivier maire d’Ars-en-Ré, et des sauniers de l’île de Ré, les principaux responsables de CMC étaient là pour saluer les Guinéens.
Jacky Menuteau, saunier à Ars-en-Ré a été le tout premier à aller en mission à Boffa, il y a plus de vingt ans. Il a notamment travaillé avec les sauniers guinéens pour imaginer des solutions croisées, issues de deux traditions de production de sel.
Il y a deux ans, Charente-Maritime Coopération a confié une mission bénévole à Louis Merlin, saunier à Saint-Clément, membre de l’APSIR (Association des producteurs de Sel de l’Île de Ré). Il a par ailleurs une solide expérience professionnelle en ONG.
En février 2015, il s’est rendu sur place pendant une dizaine de jours, afin d’établir un diagnostic sur le travail réalisé en appui à la filière sel de Guinée.
En juillet 2015, Ousmane Touré, responsable du programme Sel solaire de Charente-Maritime Coopération à Boffa même, a de son côté effectué un stage technique dans l’île de Ré.
Pour ceux qui ne connaissent pas la Guinée, j’en fais partie, il est intéressant d’apprendre que les paysages de l’île de Ré et ceux de Boffa se ressemblent : la côte est plate et marécageuse. Toutefois, dans cette partie d’Afrique de l’Ouest, la côte est couverte de mangrove, de forêt tropicale amphibie.
“ En Guinée, il existe des milliers de petits producteurs de sel. Ils utilisent quatre techniques, pour lesquelles le temps passé et donc la rentabilité, ne sont pas les mêmes. 1 – Le sel traditionnel, chauffé. 2 – Le sel issu de carreaux sur lesquels sont posées des bâches en plastique. Il ne nécessite pas une grosse main d’oeuvre. 3 – Le sel issu de petits marais salants. Ils fonctionnent bien mais ils sont peu nombreux. Ils impliquent plus d’intervention humaine et donc plus de temps. 4 – Et une autre technique, hybride, entre la méthode traditionnelle et celle des bâches, où la saumure est posée sur les bâches. On en tire un sel solaire, sans circuit d’évaporation ” explique Louis Merlin.
Quelle que soit la technique, la récolte a lieu au moment de la saison sèche. L’évaporation est optimale de fin janvier jusqu’à mi-mai. Une grande différence avec l’île de Ré, où la saison débute en mai et dure jusqu’à septembre. Avantage aux Guinéens pour ce qui est de la chaleur !
A Boffa, la méthode traditionnelle consiste à chauffer la saumure, en utilisant le bois de la mangrove. Toutefois cette précieuse formation végétale s’épuise, et elle doit être écologiquement préservée. Le sel traditionnel est cristallisé, de couleur blanche. Il a un goût très particulier, et sous l’effet de la chauffe il perd son iode.
Là bas, les marées ont une plus faible amplitude que chez nous. Par contre en saison humide, quand il pleut, l’eau tombe drue, leurs champs de marais sont totalement inondés d’eau douce. Avantage aux Rétais de ce côté là !
Alors que chez nous le sel en marais est une tradition depuis le Moyen-âge, à Boffa le métier tel que nous le connaissons, par évaporation naturelle, est plutôt récent.
Les carreaux des marais de Boffa sont rectangulaires, 5 m X 2 m. Ils sont plus petits que les nôtres qui sont des carrés de 5 m X 5 m. Là-bas, ils sont dimensionnés aux bâches plastiques noires posées dans leurs fonds. Par dessus trois centimètres d’eau sont déversés, l’eau étant issue des réserves collectives. Au bout de quatre à cinq jours l’eau est entièrement évaporée. Le sel est alors ramassé à sec. Il est très blanc. Les bâches coûtent cher, et elles doivent être renouvelées souvent.
A l’île de Ré, notre gros sel est légèrement gris, gage de sa qualité artisanale, à laquelle sont rattachées des valeurs d’authenticité. Il est récolté directement sur l’argile.
Le métier de saunier, qu’il soit Guinéen ou Rétais, présente beaucoup de similitudes. Tous cherchent à optimiser la production pour augmenter les revenus des producteurs. “ A travers ces missions, nous sommes bien dans l’échange de nos expériences. Nos discussions sont très riches, car nos enjeux sont semblables : adéquation entre capacité de production et vente, stratégie commerciale, politique de développement… Comment vendre durablement ? Nous n’avons pas forcément les mêmes réponses, mais les questionnements sont bien les mêmes. Ils ont comme nous la concurrence du sel industriel. Nos sels artisanaux sont plus facteurs de développement, de création d’emplois, de meilleure distribution de richesses, et d’impact favorable sur l’environnement ” affirme Louis Merlin.
Des deux côtés, on parle production, conditionnement et commercialisation.
Durant les deux semaines d’août la météo rétaise ne s’est pas toujours montrée clémente. Cependant les Guinéens ont pu peaufiner la technique de cristallisation du sel sur l’argile, la technique de récolte en pleine eau avec pour corollaire la gestion de l’eau. Et aussi la récolte de la fleur de sel, qui à terme, pourrait être valorisée dans des marchés de niche.
Les premiers jours, ils se sont familiarisés aux outils rétais, différents de ceux qu’ils ont l’habitude d’utiliser. En raison de la taille de nos carreaux, le simoussi est très long, plus long que celui utilisé par les Guinéens.
Son maniement pour pousser le gros sel afin d’en faire des tas sur le bord du marais est rapidement acquise.
Ah, quel bonheur de voir ses premiers tas de sel sortir du marais !
Ils sont allés ainsi sur une dizaine de marais du nord de l’île de Ré. Il y a matière à travailler et à observer. Chaque saunier a sa propre main, sa propre méthode, pour faire son sel et chaque configuration de marais est différente. Les sauniers rétais sont soit indépendants, soit organisés avec la Coopérative.
Le bilan de ces deux semaines est très positif, même si les heures passées ensemble ont été nombreuses alors que la récolte à l’île de Ré bat son plein. “ Nos échanges ont été francs, directs, ouverts et profonds pour comprendre les logiques des différentes stratégies mises en oeuvre par les acteurs de la filière ” poursuit Louis Merlin. “ Et surtout les liens débutés il y a 20 ans continuent à se renforcer ! ”.
Un rapport va être rédigé en commun. Cette mission sera peut-être le point de départ pour des échanges à distance, par internet, quand bien même le contact direct sur place est apprécié par les uns et les autres. A quand la production de sel solaire de Boffa sans bâches ? “ C’est un objectif souhaitable et souhaité qu’ils arrivent à produire ainsi. Certains de leurs sols sont argileux, comme les nôtres ” confirme Louis.
En vidéo, voici un petit souvenir de leur passage dans un marais salant de l’île de Ré :