La défaite des Anglais au Feneau

Ceux qui s’intéressent à l’Histoire savent que l’île de Ré a souvent été le théâtre d’affrontements violents. Sous le règne de Louis XIII, la bataille entre l’armée anglaise du duc de Buckingham et celle du comte de Toiras, gouverneur de l’île de Ré, a fait des milliers de morts dans le nord de l’île. Le 8 novembre 1627, l’armée anglaise était mise en déroute au Feneau, à Loix.
Un tableau relate ce pan de l’histoire rétaise. Son format est grand : 112 X 210 cm. Il a été peint par Laurent de La Hyre (1606-1656). L’artiste a probablement réalisé cette oeuvre entre le mois de décembre 1627 et le début de 1628. Faites le calcul, il avait tout juste 20 ans. il n’était pas célèbre, cependant il était proche de Gaston d’Orléans, frère du Roi, et il ambitionnait de devenir peintre du Roi, graveur ou Roi ou ingénieur du Roi.
Laurent de La Hyre - 1606-1656
Collection Musée des Armées – Peinture Laurent de La Hyre.
En juin 2009, le musée de l’Armée à Paris a acquis cette toile, en vente publique chez Sotheby’s pour la somme de 200 000 €. Le Louvre a en ensuite mené une importante restauration. Au printemps, l’oeuvre a été exposée, pour la première fois, lors de l’exposition Mousquetaires ! au musée de l’Armée, aux côtés des armes, armures et uniformes de l’époque de Louis XIII. Jusqu’à son acquisition le tableau était inédit, il appartenait à une famille française.
Je l’ai découvert grâce à l’Association de Protection des Sites de Loix  (APSL) qui, mi-août, a organisé une réunion informelle et amicale pour en montrer l’intérêt historique.
Membres de l'APSL et Lionel Quillet, maire de Loix
Dominique Paret, Teddy Dufour et Monique Bouteille (APSL) et Lionel Quillet, maire de Loix.
Le peintre a également réalisé une gravure, elle comporte des indications permettant d’appréhender tous les détails de la toile elle-même. L’original de cette gravure se trouve à la Bibliothèque Nationale.
il m’a fallu un peu de temps avant de comprendre la perspective de cette oeuvre panoramique. Le peintre se situe en hauteur, peut-être sur une dune ?, au niveau de ce qui est aujourd’hui le rond-point de La Passe au carrefour de La Couarde et de Loix.
On voit comment était le lieu il y a près de 400 ans, sa topographie, les constructions, les emplacements et les formes des marais, les accès…

Au premier plan, lisle de Ré et au second plan lisle de Loye séparées par un grand canal.

A gauche, c’est La Davière, avec le grand espace aujourd’hui situé à droite de la route départementale, juste avant le Boutillon. La piste cyclable actuelle rejoint Loix.

Laurent de La Hyre - La Davière
La Davière.
Au même niveau sur le tableau, à droite, ce sont les Prises, à La Couarde. En ce temps-là le lieu s’appelait Les Presse.
Laurent de La Hyre - Les Prises
Les Presse.
Au fond à droite, c’est le bourg de Loye et l’isle de Loye. Les maisons sont peu nombreuses et serrées les unes près des autres et l’église se distingue bien.
Laurent de La Hyre - Bourg et isle de Loye
Bourg et isle de Loye.

Au centre c’est la Passe, on reconnaît la route en lacets qui mène au pont du Feneau puis à Loix. Sur cette route, le sieur Soubise s’enfuit à cheval. De nos jours, il reste de cet ensemble de bâtiments une voie nommée Impasse du Vieux porche.

Laurent de La Hyre - La Passe
La Passe.

Entre la Davière et la Passe, les marais salants sont coupés par une grande digue. Les mousquetaires anglais y sont positionnés pour tirer sur la cavalerie et l’infanterie françaises.

Laurent de La Hyre - Marais salants
Marais salants. Et au premier plan du tableau les armées. 

Au fond du tableau à gauche, à la limite de la terre et de la mer, on distingue des sortes de fortifications. C’est la Digue des marais salants, elle avait une forme bien singulière. Elle n’existe plus de nos jours.

Laurent de La Hyre - Digue des marais salants
Digue des marais salants.

Et puis il y a les scènes d’affrontement des cavaliers et des fantassins. Au fond les vaisseaux anglais sont positionnés à la Pointe du Grouin.

Afin d’en savoir plus sur cette historique bataille, je suis allée piocher des informations dans plusieurs ouvrages. Voici quelques éléments qui relatent ces faits de guerre.

Extrait du catalogue de l’exposition du musée des Armées : «  Cette oeuvre constitue l’une des premières représentations crédibles connues d’un épisode des guerres de religion ; la reconquête de l’île de Ré sous la conduite du maréchal Schomberg  (1575-1632). Cette bataille est considérée comme un prélude à la prise de La Rochelle par les armées de Richelieu. En 1627, pendant le siège que les armées de Louis XIII font subir aux huguenots rochelais, 5000 soldats et 100 cavaliers anglais, menés par Georges Villiers (1592-1628), duc de Buckingham, envahissent l’île de Ré et assiègent Saint-Martin. Le comte de Toiras (1585-1636) gouverneur de l’île résiste jusqu’à l’arrivée des renforts. Le 8 novembre les troupes françaises opèrent alors leur jonction. Pris en étau, douze régiments anglais évacuent le bourg de Saint-Martin, en bon ordre, couverts par leur cavalerie. Obligés de réduire leur front avant de s’engager dans les marais, ils sont attaqués puis défaits. Les rescapés trouvent un abri dans l’île de Loix, où attendent les vaisseaux. Benjamin de Rohan (1583-1642), seigneur de Soubise et frère cadet d’Henri II de Rohan, s’enfuit avec les Anglais ».

Extrait du catalogue Sotheby’s : « C’est en 1627 que Richelieu s’attaque directement au pouvoir protestant, de plus en plus rebelle à l’autorité royale et qu’il décide de réduire la place de La Rochelle. L’armée assiège la ville et une équipe d’ingénieurs construit la célèbre digue pour empêcher tout secours par la mer. L’événement a un grand retentissement international. L’armée anglaise débarque à l’île de Ré pour apporter son aide aux assiégés, mais elle est défaite par l’armée française le 8 novembre. Toute l’Europe catholique rend des actions de grâce ».

Extraits du livre du Dr Kemmerer « Histoire de l’île de Ré », écrit en 1888« Le maréchal Schomberg traverse le bourg de La Couarde à la hâte ; il aperçoit les Anglais qui suivaient le chemin tortueux des dunes, et dont la tête de colonne prenait la direction du chemin de Loix ouvert entre la passe et la Davière. La chaussée de Loix avait une largeur de six mètres, quatre hommes pouvaient marcher de front. Elle allait en droite ligne jusqu’au petit pont de bois (le pont de Lauzun, probablement), qui était jeté sur un étroit cours d’eau ; elle s’enfuyait alors à droite pour se replier à gauche, elle s’inclinait de nouveau à droite pour arriver au pont de Loix. Le pont de Loix était en bois, à cheval sur le chenal du Feneau (…).

Les cavaliers français plus solides sur leurs étriers font mordre la poussière à leurs adversaires (…). La chaussée se couvre de morts, les marais se remplissent de blessés qu’on assomme dans la boue. Des soldats anglais, un chapelet à la main demandent grâce (…). Tous fuient, tous courent vers ce pont de Loix qu’il faut traverser. C’est le salut, on dirait un steeple-chase de la mort. Mais la terrible épée des Français est toujours dans les reins des fuyards qui n’ont pas le temps de se retourner (…). La foule pressée, étouffée, les bras tendus, le cri rauque, fait des efforts de géants pour s’écouler sur le pont étroit. Les flots de cette mer humaine, ne trouvant pas d’issue, ondulent et refluent sur les côtés. Ce n’est plus une lutte, c’est un massacre (…). Buckingham qui avait passé le pont, retourne sur ses pas, le traverse de nouveau, et vient à 30 pas de la cavalerie française, l’épée haute, le regard provoquant. ll veut arrêter les fuyards, il les menace, et il est entraîné malgré lui dans cette course folle et désordonnée. Tous, Français et Anglais, pèle-mêle, passent le pont ensemble (…). Mais les Anglais font volte-face et reprennent leur marche désordonnée vers Loix. Ils se répandent de tous les côtés, dans les marais, sur les sentiers des fossés, dans les vignobles, sous le feu meurtrier des troupes françaises qui les poursuivent (…). L’air, disent les historiens, était en feu et en fumée.

La nuit seule put mettre fin à cette lutte sanglante (…). Les Anglais traversent le bourg de Loix qui est abandonné et atteignent les vaisseaux ancrés à la pointe Blanche (le Grouin). Le sauve qui peut est le mot suprême (…). Le pertuis s’illumine sous les premiers rayons de l’astre du jour. Les royalistes sont sur pied, et le maréchal Schomberg accompagné de tous les offres généraux parcourt les lieux où le combat a été le plus vif. A la Davière, les morts sont assez pressés, mais la scène la plus hideuse se déroule dans toute son horreur autour du pont. Un monceau d’hommes, de chevaux, et d’armures, comble les fossés et nivelle les marais environnants. Dans tous les canaux on voyait une mer de sang. Tous les historiens ont admis que les armes de 3000 hommes ont été retrouvées sur le champ de bataille. 2000 anglais tués. 1000 blessés. Chevaux, tous tués ou pris. Canons, tous pris. 5 colonels tués. 3 lieutenants-colonels tués. 150 capitaines tués. 20 gentilshommes tués. 40 drapeaux pris (…). Schomberg ne dit pas un mot sur les pertes des Français, cependant il a dû laisser sur le terrain quelques centaines d’hommes (…).

Toiras, dont l’attitude pendant la bataille avait été admirable, reprit la route de Saint-Martin et rentra dans la citadelle pour surveiller les mouvements de la flotte anglo-rochelaise. Tous les prisonniers y furent internés. Louis XIII se montra généreux à leur égard. Il rendit ainsi à l’Angleterre 50 capitaines, 5 colonnes et un grand nombre d’officiers. Schomberg vint prendre quelques jours de repos dans la citadelle, pour ne pas s’éloigner de l’île avant d’avoir reconnu les desseins de Buckingham (…). Le maréchal ravitailla les forts en troupe et en munitions et s’embarqua au milieu des hourras de la population catholique de l’île (…).

Tous les grands seigneurs de l’armée du Roi devant La Rochelle, vinrent en foule dans l’île de Ré pour visiter les lieux témoins de tous ces exploits. Sablonceau, la citadelle, le pont de Loix, devinrent des étapes glorieuses où les visiteurs s’arrêtaient avec respect (…).

Buckingham recueillit 2000 hommes sur ses vaisseaux, tristes débris d’une armée de plus de 10 000 hommes qui foula le sol rhétais (…). 2000 cadavres humains et 200 chevaux étaient étendus sur le sol. Au milieu des marais salants, il était difficile d’entrouvrir un charnier assez vaste pour cette sépulture. A mer haute, un grand nombre de cadavres furent jetés dans le chenal du Feneau et le flot descendant les emporta dans la baie de Loix. La flotte anglaise vit avec stupeur tous ces cadavres flottants. Cette baie était donc bien la Fosse aux Anglais et Buckingham compris, au désespoir qui suivit ce triste épisode, qu’il n’avait plus qu’à hâter son départ. Il laissa du repos à ses troupes jusqu’au 17 novembre. Il partit. Il avait dépensé trois mois et six jours de sa vie brillante et fortunée pour arriver à un désastre qui avait tout englouti (…).

En janvier 1628, le Roi donna à son cher Toiras tous les biens de Soubise que la rébellion de ce chef avait mis hors la loi. ll resta gouverneur de l’île de Ré et reçut en récompense 300 000 F. Ce fut la dernière phase de cette guerre religieuse (…). Le 3 février 1628, Toiras fit arrêter plusieurs protestants qui voulaient agiter l’île.

Buckingham revit l’Angleterre. Il avait promis de revenir sur la terre de Ré, et il obtint de son Roi d’équiper une nouvelle flotte (…). Le 16 septembre 1628, une lettre d’un sieur Arnault fit savoir aux Rochelais que le duc de Buckingham avait été assassiné par un Ecossais, Jean Fulton, qui avait fait partie de l’expédition de l’île de Ré comme officier, et qui avait conçu une haine profonde contre le duc parce qu’il lui avait refusé la place de son capitaine tué dans la déroute (…).

Deux siècles  après, des sauniers, près du pont du Feneau ouvraient une vaste fosse pour y ensevelir une grande quantité d’ossements épars sur le sol, avec des balles et des boulets. (…)

Depuis que j’ai vu ce tableau, à chaque fois que je passe dans le coin je repense à cette période sanglante…

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