Valérie, saunière. 60 ans, 60 kg, 60 tonnes de sel

Il se dit que la saison de sel 2022 à l’île de Ré est une très bonne année. Les épisodes caniculaires et le vent dominant de Nord-Est y ont sans doute été pour quelque chose. Mais cela ne suffit pas. Il faut surtout avoir de bons bras pour récolter le précieux produit.

Valérie Charpentier, saunière à Saint-Clément des Baleines, peut en témoigner.

Valérie Charpentier - Saunière - 22 septembre 2022

Quelles sont les qualités requises pour faire un bon saunier/une bonne saunière ? « De la résistance sur la longueur, de l’endurance et un avoir peu de force quand même ! Il faut être sportif et ne pas avoir les deux pieds dans le même sabot » sourit Valérie.

La saison démarre en général fin février – début mars pour le nettoyage du marais. « Habituellement nous avons trois mois pour le faire et cette année nous n’avons eu que deux mois. Il faisait beau, et il a fait beau non-stop durant tout le temps de préparation. J’ai commencé la production le 7 mai, plus tôt que d’habitude. J’ai arrêté au moment du charroi qui a débuté le 12 septembre lorsque le gros sel a été emporté à la Coopérative d’Ars. Cette année nous n’avons pas eu de temps mort, à l’exception de quelques petits jours de pluie fin juin et mi- août, suffisants pour reposer le marais et la saunière… Cet été il n’a pas fallu lâcher le morceau… » raconte-t-elle.

Son marais salant est long de quelques 250 mètres et large de 25 mètres. Soit un peu plus de 6 000 m2. Cela en fait des pas et des pas pour aller et venir…

Septembre 2022.

Quel est le rythme de travail ? : « Pendant le nettoyage du marais, entre 9 heures et midi et de 15 h à 18 heures, soit 6 bonnes heures par jour. Pendant la production, de 6 h 30 à 12 heures et de 16 h 30 à 21 h 30, soit un peu plus de 10 heures par jour, dimanche et jours fériés inclus ! » poursuit-elle.

Valérie Charpentier - Saunière -  Eté 2022
Photo : DR – Eté 2022.

Il arrive aussi qu’il faille donner un coup de main aux voisins sauniers, comme prêter un outil lorsqu’il a cassé, aider un collègue blessé momentanément ou prêter un tracteur lorsqu’il est en panne. « Le métier est solitaire mais nous sommes tous solidaires. Pendant le charroi de septembre, j’ai été occupée à pelleter le sel sur les bosses des collègues pour l’emporter à la Coopérative, puis le bâcher. Et là maintenant je suis en train de plier mon marais pour l’hiver ».

En gros cela représente sept à huit mois de travail sans discontinuer. On peut donc aisément comprendre que pour exercer ce métier passion il faut avoir une bonne santé. Un métier à l’île de Ré entièrement artisanal, le sel y est récolté manuellement.

Un secret de Valérie : une séance d’étirements d’une dizaine de minutes avant de prendre en mains le simoussi, l’outil pour tirer le sel. « Comme j’ai été entraîneur de basket, je sais ce qu’il faut faire pour les jambes, les bras, les genoux, les articulations et les épaules. Cette année tout s’est bien passé, je n’ai eu aucune douleur et finalement je n’ai pas souffert de la chaleur. J’ai géré la production de façon à tenir jusqu’au bout. J’ai fait à mon rythme en tenant compte de mon âge et de mes 60 kg ».

Valérie Charpentier - Saunière - Eté 2022
Photo : DR – Eté 2022.

Des 48 carreaux de son marais, qui sont appelées aires saunantes dans le langage du sel, Valérie a tiré très précisément 56,8 tonnes de gros sel et elle a cueilli 600 kg de fleur de sel.  » J’ai battu mon record en gros sel qui était de 52,5 tonnes depuis quinze ans que j’exploite ce marais. Le gros sel convient mieux à ma musculature. La fleur de sel nécessite un geste particulier, à bout de bras, qui tire très fort d’un côté sur l’épaule et de l’autre dans le dos. Dans le passé j’en ai cueilli jusqu’à trois tonnes en une saison, mais maintenant j’en fait moins ».

C’est ainsi que pas mal de sauniers rétais font appel à des cueilleurs saisonniers de fleur de sel. Mais ce n’est pas le cas de Valérie. Elle fait toute seule, sans apport extérieur. Guy, son mari, peut aujourd’hui physiquement lui donner un coup de main en conduisant le tracteur sur le chemin de roulage pour transporter le sel sur le gros tas où il est stocké en attendant le charroi. Ce qui est déjà une aide précieuse.

Il est arrivé que Yann et Iluka, ses deux petits-enfants, viennent passer un moment sur le marais. Pour eux l’espace est propice au jeu et à la liberté. Ils regardent avec attention les gestes de leur grand-mère. Et quelle joie de monter sur le tracteur avec leur grand-père.

Valérie Charpentier - Saunière - Eté 2022
Photo : Michèle Jean-Bart – Eté 2022.

A la fin de la saison, les soixante tonnes de sel représentent un joli tas de 28 mètres de long sur 4,5 mètres de large. On appelle ça une « vache » lorsque le tas est en longueur.

Saint-Clément des Baleines - Marais de Valérie Charpentier - 18 septembre 2022
Photo DR : Septembre 2022.

Si un jour la saunière décide de faire relâche, que se passe-t-il ? : « C’est double peine le lendemain ! Il y a deux fois plus de sel ! ».

Comment les épisodes caniculaires de cet été ont-ils été gérés ? : « Comme j’ai 48 carreaux, je travaille sur 24 carreaux le matin, et le lendemain les 24 autres. Le soir est consacré à la cueillette de la fleur. Quand la température s’est élevée, notamment fin juillet, j’ai mis douze carreaux sous l’eau, de façon à pouvoir faire une rotation de douze carreaux tous les trois jours. Plusieurs fois le marais a été au bord de s’échauder. Il a fallu gérer cela et s’adapter. En gros, j’ai pu tirer entre 50 et 80 kg de gros sel par aire saunante, tous les jours ».

A quoi pense la saunière lorsqu’elle est dans son marais ? : « En général lorsque j’arrive, j’ai en tête le dernier morceau de musique que j’ai entendu à la radio dans ma voiture. Il revient en boucle dans ma tête. Après me revient le souvenir de la soirée de la veille, ce que j’ai lu avant de m’endormir ou les informations de la journée. Et ensuite je ne pense plus à rien, c’est là le plus grand bonheur. Je lâche prise et une sorte d’harmonie arrive, où j’ai l’impression de faire partie d’un tout, en osmose avec l’outil, les gestes, le temps et l’espace. ».

Le métier serait-il donc méditatif ?

Valérie va maintenant profiter d’un petit peu de repos. L’hiver elle le consacre à sa famille au rangement et aux travaux dans la maison et à ses amis. En outre, elle fait partie du conseil d’administration de la Coopérative de sel d’Ars.

Valérie Charpentier - Saunière - 21 septembre 2022
21 septembre 2022.

A l’île de Ré, elles sont une dizaine de femmes à travailler dans le marais, souvent en co-exploitation avec leur compagnon ou époux, ou aidées par des cueilleurs de fleur de sel. Elles sont soit membres de la Coopérative, soit en indépendant.

Valérie conseille t-elle aux femmes de se lancer dans l’aventure ? « Oui. C’est faisable, j’en suis la preuve ! Je descends d’une vieille famille de sauniers des Portes-en-Ré, les Séjourné. A l’époque les femmes participaient activement à la vie des marais salants et des champs. Exercer un tel métier dans un tel espace naturel, j’adore ! Bien sûr il y a un côté physique, mais point trop n’en faut. C’est un métier magique, nous transformons du liquide en solide. Un produit 100 % naturel ». 

Ile de Ré - Carte postale - Femmes au marais- Septembre 2022

La récolte 2022 s’est donc avérée très bonne, mais ce n’est pas une année d’exception. 3 700 tonnes de gros sel ont été estimées lors du dernier charroi et plus de 200 tonnes de fleur de sel. Le tas grossit à la Coopérative.

Nicolas Bécaud, président de la Coopérative commente : « Nous sommes sereins car aujourd’hui nous avons constitué notre stock de sécurité. Il nous permet d’envisager l’avenir avec confiance même si les saisons suivantes s’avéraient moins bonnes. Nos partenaires commerciaux pourront être donc être bien servis ».

Que pense-t-il de la présence des femmes dans les marais salants ? :  » La mixité dans un collectif c’est important. Les hommes et les femmes n’ont pas toujours la même vision du travail, nous sommes vraiment complémentaires. Souvent elles s’organisent différemment pour pallier au côté physique afin d’optimiser leur exploitation. Une des forces de la Coopérative c’est d’entretenir cette mixité qui a d’ailleurs toujours existé ».

Quand bien même le charroi du sel est terminé les marais salants donnent encore. Le vent de nord-est est bien établi. Néanmoins après une telle saison, beaucoup de sauniers ont souhaité faire une longue pause hivernale.

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