J’ai eu récemment l’occasion de découvrir le carnet de dessins de Théodore Loizeau. Une merveille ! Un trésor qui depuis plus de 100 ans, dort sur une étagère rétaise.
Un carnet à la couverture modeste et tachée mais dont dix sept pages révèlent un réel don d’artiste.
Les dessins de fin de carnet sont signés F.LoizeauT. F pour Fernand, Loizeau le nom de famille et T majuscule pour Théodore. De qui parle t-on alors ? De Fernand ou de Théodore ?
Jadis, à l’île de Ré, on donnait au garçon aîné de la famille le prénom du père. Lequel s’il était l’aîné portait également le même prénom. Afin de distinguer les personnes, grand-père, père ou petit fils, il était d’usage de porter dans la vie de tous les jours le second prénom enregistré à l’état civil.
Pour les filles, c’était la même chose : le premier prénom donné à l’aînée était celui de sa mère, mais de la même façon son prénom d’usage était son second prénom.
Allez vous y retrouver dans tout cela aujourd’hui lorsque les descendants vous parlent d’untel ou d’unetelle, alors que l’état civil n’indique pas le même prénom !
C’est ce face à quoi je me suis retrouvée lorsque j’ai tenté de deviner où se cachait le cahier de dessins de Théodore dont un ami m’avait parlé, alors qu’il s’agissait du carnet de Fernand Loizeau !
Théodore Fernand était cultivateur à Ars-en-Ré, puis il a été épicier. Il est né le 9 août 1880 à Ars-en-Ré. Il est décédé le 28 août 1910. Son acte de décès est conservé dans le carnet. Il avait alors tout juste 30 ans.
Les archives départementales indiquent qu’il s’est marié le 14 avril 1903, avec Louise Lucie Métais, épicière, à l’âge de 23 ans. Il a eu deux filles : Marthe Fernande, décédée à 17 ans. Et Marguerite, née en 1904, décédée en 1965, mariée dans la Manche avec André Le Guay.
Colette Puig est sa petite-fille. Elle habite à Ars, dans la maison héritée de sa mère Marguerite. Elle n’a pas du tout connu son grand-père. Marguerite lui a raconté que Fernand Théodore se cachait dans le grenier pour dessiner car l’activité ennuyait son épouse Louise Lucie.
Le carnet comporte dix sept dessins, tous plus beaux les uns que les autres ! Exécutés à l’encre et à la plume, ils témoignent d’une réelle habilité à l’exercice. Et d’une finesse rare. Pour autant Fernand Théodore n’a jamais eu de professeur.
Quand a t-il débuté le carnet ? Sur l’intérieur de la 1ère page de couverture il est indiqué 15 janvier 1902, Théodore avait alors 22 ans. Quand a t-il arrêté de dessiner ? Nul ne le sait. A sa mort ?
Ses dessins permettent d’admirer sites et paysages de l’île de Ré la fin du XIXe siècle.
Ars. L’église et son célèbre clocher bien évidemment ! Sur un des dessins on peut voir les rambardes du kiosque à musique.
Le parvis de l’église est à la hauteur de la porte d’entrée. Et il y a des arbres de chaque côté de la rue Thiers.
Sur ce dessin on reconnaît la maison du Sénéchal sur la place de l’église. Mais Théodore a écrit : « Maisons Banière et Pentecôte » les propriétaires de l’époque.
Il a dessiné « un coin de sa commune » ainsi qu’il l’a écrit. Devinez où Théodore s’est posé pour réaliser son croquis ?
L’artiste fumait, au grand dam de son épouse. Une marque de cigarette troue quelque peu le dessin.
La plage de Grignon, près d’Ars. Elle n’a pas évolué.
Théodore avait une belle plume. Son écriture châtiée est pleine de déliés, tels qu’on peut les constater sur les légendes.
A Saint-Clément, les deux phares l’ont largement inspiré. Le grand phare a été construit en 1849, quelques 40 ans avant ce dessin. Théodore indique d’ailleurs « L’ancien et le nouveau Phares ». Aujourd’hui nous ne parlons plus de nouveau phare ! Au pied du grand phare il y a de la végétation, l’endroit était sauvage, il n’y a pas de boutiques…
Deux dessins illustrent le vieux phare. Sur un côté il était quasiment recouvert de lierre. Un chemin étroit y mène, la végétation est dense et basse.
L’arrière plage de la Conche est recouvert d’herbes plutôt rases. Les blockhaus allemands ne figurent pas, ils seront malheureusement édifiés quarante ans plus tard.
Le Sémaphore. Le dessin indique « en 1893 », et en tout petit il est écrit « d’après une photographie de R.B ». Le bâtiment ne ressemble pas du tout à celui de nos jours. Le traits du dessin sont d’une précision rare.
Dans un autre dessin Théodore montre le Sémaphore et le Phare des Baleines. Il écrit tout petit et tout fin : « Prise de la mer ». Au premier plan, on voit les amas d’algues qui existaient à l’époque.
Un dessin de Saint-Clément est particulièrement éloquent quant à ce qu’était le paysage de l’île de Ré d’alors. Ah les rails du petit train ! L’environnement et la végétation, toujours exprimés délicatement, sont bien différents d’aujourd’hui.
Il est allé aussi à Saint-Martin pour illustrer la porte des Campany (écrit avec un y).
Les ruines de l’abbaye de La Flotte l’ont également inspiré.
Le carnet se termine par un dessin d’une rue bordée de grands arbres… Dans quel village cela se passe-t-il ? Rien ne l’indique…
Aux archives départementales il est précisé que Théodore avait les cheveux châtains et les yeux bleus. Et qu’il était réformé de l’armée en raison de rhumatismes. De toutes façons il n’a pas fait la guerre de 14-18, il était déjà décédé.
Colette Puig a conservé deux portraits peints de son grand-père. Il ont, en toute vraisemblance, été réalisés après sa mort, d’après une photo. Il est habillé en tenue chic, noeud papillon noir, nord papillon blanc !
Avant de retrouver le carnet de Théodore j’ai pendant quelques jours fait des méandres. Arthur Loizeau est gentiment allé plongé pour le blog dans les archives départementales. Merci Arthur.
Théodore avait deux soeurs Lucie et Julia, appelée Victorine dans la vie quotidienne. Le couple Louis Goumard et Victorine Loizeau a eu quatre enfants : Marcel (dit le tambour d’Ars), Fernand, Fernande (épouse de Gaston Cazavant) et Georges ferronnier de son état, dit Jojo. Merci à Josette Brunet-Goumard et à Patrick Goumard, leurs descendants, qui m’ont permis de remonter jusqu’à Théodore et sa petite fille Colette. Il est vrai que les Rétais de souche sont tous cousins !
Le carnet est de retour sur son étagère, rangé précieusement. A propos de ces oeuvres non encore révélées publiquement Yvonne Couturier, férue de généalogie rétaise, parle de « trésors d’armoires ». Il est certain qu’il y en a encore sûrement d’autres à découvrir car l’île de Ré s’avère bien être une terre d’artistes.