Complicité d’artistes au musée de Saint-Martin de Ré

Cette année le musée Ernest Cognacq a reçu don de onze estampes de deux immenses artistes de renommée internationale : Zao Wou-Ki et Richard Texier.

Leurs oeuvres sont exposées encore quelques jours à Saint-Martin de Ré. Vite, vite, il est temps d’aller les admirer et de les contempler. Ou bien, pour ceux qui ont déjà découvert l’univers des deux artistes, de revenir rêver devant.

Affichette expo Zao Wou-Ki + Richard Texier - juillet à novembre 2018

Zao Wou-Ki et Richard Texier étaient amis. Richard Texier a d’ailleurs écrit un livre, publié chez Gallimard au printemps dernier. Il raconte leurs longues années de complicité qui a débuté au Maroc en 1995 :  “ Je croisais soudain Zao Wou-Ki, son sourire rayonnant et son karma apaisé ”. Les deux artistes ont “ noué un  lien affectif, qui se renforça jusqu’à son dernier envol, le 9 avril 2013 ”, écrit-il.

“ L’amitié était sacrée pour lui et il veillait soigneusement à l’entretenir ” note l’auteur.  En témoignage de cette amitié, Madame Françoise Marquet-Zao et Richard Texier ont fait don de leurs estampes au musée rétais.

“ L’harmonie, la quête d’équilibre, l’utilisation singulière de la couleur, les prodiges de la nature sont des clés de compréhension de sa peinture” souligne  Richard Texier dans son ouvrage.

Zao Wou-Ki - Sans titre - 1988
Zao Wou-Ki – Sans titre – 1988. Lithographie en 8 couleurs.

“ Il prétendait que la mienne était méditerranéenne, solaire, vigoureuse ” ajoute-t-il.

Richard Texier - Bientôt le monde - 1998
Richard Texier :  » Bientôt le monde  » – 1998. Gravure aquatinte et eau-forte.

Cinq estampes de Zao Wou-Ki sont présentées au Musée Ernest Cognacq.

Quoi de mieux que les mots du livre de Richard Texier pour accompagner la découverte de cette exposition?

“ La transmission est essentielle  dans la conception chinoise. La Peinture, mais aussi la Vie, la Famille et la Nature forment des chaînes continues dont les maillons relaient, propagent et préservent. Il n’existe pas dans cette tradition de génération spontanée surgissant de nulle part. Seul un passage de témoin attentif guide les générations successives depuis la nuit des temps et assure la lente construction du monde.  Wou-Ki vient de là, de la permanence ces forces et de l’imperceptible dérive des choses ” décrypte t-il.

Zao Wou-Ki - Sans titre - 1978
Zao Wou-Ki – Sans titre – 1978. Eau-forte et aquatinte en 5 couleurs.

Un jour, Zao Wou-Ki  l’a invité à visiter son atelier parisien. Il se souvient  : Je lui exprimais mes sensations face à chacune des toiles, le pouvoir de la Nature que m’inspiraient ces compositions abstraites, et la sensibilité romantique et charnelle qu’elles dégageaient. C’était la première fois que je regardais attentivement ses oeuvres. Elles dégageaient une impression de plénitude, de bonheur. Grâce à ses commentaires, je parvenais à mettre en perspective ses intentions, son parcours artistique.

J’appréciais ma chance de l’entendre me raconter aussi simplement sa tentative, ses efforts et les obstacles qu’il avait dû surmonter. Les évocations de son passé le rendaient joyeux et son rire communicatif ne tardait jamais à ponctuer sa narration. J’ai appris par la suite à déchiffrer ce rire qui était sa meilleure protection ”.

Zao Wou-Ki - Sans titre - 1967.
Zao Wou-Ki – Sans titre – 1967. Lithographie en 5 couleurs.

“ Nous avons parlé de William Turner, de l’impressionnisme qu’il adorait, du pouvoir de la couleur et de l’utilisation surprenante, très chinoise qu’il en faisait. Un rouge vermillon éclatant pouvait voisiner avec du rose syrien, se conjuguer plus loin à du blanc d’argent. Un vert tendre croisait des aplats de mauve, de violet et de pourpre pour finalement se noyer dans des ciels ocre-rouge très fluides. Cette gamme de couleurs vives venait de sa culture asiatique, il avait su l’hybrider peu à peu à la perception occidentale, plus conceptuelle et froide.  

Par ailleurs, son geste de peintre restait souple, dansant, écrit, et devait sans doute beaucoup à la maîtrise de la calligraphie qu’il avait étudiée autrefois. Lorsqu’il déposait la peinture sur la surface de son tableau, l’énergie jaillissait avec vigueur, parfois accompagnée d’éclaboussures, mais elle cherchait l’équilibre, l’harmonie, la maîtrise ”.

Zao Wou-Ki - Sans titre - 1965.
Zao Wou-Ki – Sans titre – 1965. Lithographie en 6 couleurs.

Dans un autre chapitre  il raconte : “ Il esquissait parfois quelques traits au crayon de bois puis se lançait et installait la couleur en chantonnant. Souvent il poussait des cris gutturaux. Non seulement on le voyait à l’image progresser dans le déroulement de son travail, mais aussi on l’entendait peindre. Il râlait, il éructait, expulsait le souffle de son être, l’inspiration vitale qui le traversait. Les Chinois, l’appellent le Qi ou le Chi (prononcer tchi). Quand il peignait à l’huile, seul dans son atelier, il me confia qu’il faisait de même. C’était plus fort que lui, il lui fallait accompagner son geste. A bien y regarder, cela semblait l’inverse. Le Qi précédait le geste, le crédit, accompagnait son déploiement, guidait la main vers le destin de l’oeuvre, vers son apparition finale. Zao Wou-Ki était porté par ce principe asiatique fondateur, cette essence immatérielle qui anime l’oeuvre, cette essence matérielle qui anime l’univers tout entier et inspire la vie ”.

Zao Wou-Ki - Sans titre - 1973.
Zao Wou-Ki – Sans titre – 1973. Eau-forte et aquatinte en 4 couleurs.

Cette exposition, unique, a pu voir le jour grâce au professeur Bruno Dubois, Rétais d’adoption. Il a écrit un texte qui sert d’introduction lorsqu’on arrive dans  l’expo. Il permet de mieux appréhender la complicité des deux amis.Expo Zao Wou-Ki et Richard Texier - Musée Ernest Cognacq - 5 août 2018

De la connivence des deux artistes, un court film est né. Il est intitulé Rouge très très fort, il a été tourné en 2008 par Richard Texier, avec son téléphone portable. Il est projeté dans un coin de l’expo. Il dure une dizaine de minutes, c’est un petit bijou où l’on peut voir Zao Wou-Ki en action.

Certaines séquences ont été filmées à l’île de Ré, où chaque année l’artiste rétais invitait son couple d’amis. “ Un rituel, une respiration profitable à nous tous”, assure Richard Texier.

Dans le chapitre intitulé Témoigner de son livre, il raconte avec humilité pourquoi son ami a accepté d’être filmé alors qu’il l’avait refusé à de grands réalisateurs.

De son côté, Richard Texier a également fait don de six de ses estampes au musée.

Les estampes des deux artistes se complètent, alors que les périodes de création sont différentes.  De 1965 à 1988 pour Zao Wou-Ki. Et de 1998 à 2006 pour Richard Texier. La cohabitation de leurs oeuvres fonctionne merveilleusement bien, comme un jeu de réponses de l’une à l’autre.

Musée Ernest Cognacq - Richard Texier - D'Ici 2001.
Richard Texier – D’Ici 2001. Gravure aquatinte et eau-forte.

Dans son livre, il se rappelle le moment où Zao Wou-Ki lui a fait un bien beau cadeau : “ Quand venait mon tour de l’inviter, il me rejoignait à pied jusqu’à mon atelier de la Butte aux Cailles. Il se présenta un jour devant ma porte avec sous son bras une boîte en bois blanc. Il me la tendit comme un présent en me disant qu’à l’avenir son contenu me serait plus utile qu’à lui. Pour sa part, précisa-t-il, le catalogue de son oeuvre gravée venait d’être publié et, désormais, il ne souhaitait plus réaliser d’estampes.

Je posais le cadeau sur une table et ouvris délicatement son couvercle verni. Au revers, il avait inscrit au feutre noir : Pour Richard, bon travail. Son ami Zao Wou-Ki – Le 1er février 1998. Le coffret rassemblait une cinquantaine d’outils de taille-douce, destinés à graver des plaques de cuivre pour imprimer des estampes. Des grattoirs, brunissoirs, pointes sèches et gouges de toute taille se mélangeaient aux burins, onglettes et échoppes. On y trouvait aussi une pierre à aiguiser, un tampon encreur, des pinceaux en soie de porc et des feuilles de papier de verre. La parfaite panoplie du graveur ambulant. L’idée de transmettre était toujours présente à son esprit. La grande chaîne du savoir passe aussi par les instruments de la création ”.

Musée Ernest Cognacq - Richard Texier - Latitudo 2001
Richard Texier – Latitudo 2001

Richard Texier dit aimer “ concocter ses propres couleurs ” ce qui surprenait son ami.  “ Il préférait les acheter en tube chez des marchands qu’il affectionnait. Nous nous amusions de nos petites manies de peintres, de ces phantasmes techniques imposés par l’usage et l’habitude qui participent au rituel intime de la création.

J’avais hérité cette pratique des peintres anciens qui broyaient eux-mêmes leurs pigments. Au fil du temps j’étais parvenu à élaborer une méthode personnelle qui augmentait sensiblement l’intensité colorée. Je brassais de l’eau, du médium et de la pierre volcanique jusqu’à fabriquer un mélange fluide et homogène. J’y ajoutais ensuite les pigments en prenant soin qu’ils ne saturent pas la mixtion. Trouver la juste dose pour équilibrer la bonne nuance était une question d’instinct et de chance aussi. L’affaire demeurait assez délicate, elle me permettait néanmoins de régler un noir d’ivoire charbonneux, un gris anthracite profond, un bleu indigo lavé et du blanc d’argent qui révèle si bien la peau frémissante du tableau. Un temps de décantation de plusieurs heures s’en suivait pour stabiliser la matière ainsi obtenue. Les peintures reposaient alors tranquillement au milieu de l’atelier, dans des containers de plastique ”.

Musée Ernest Cognacq - Richard Texier - Orbis 2006
Richard Texier – Orbis 2006.

Richard Texier rapporte les mots de sagesse de son ami : “ Il ne faut rien dire tant que le tableau n’est pas fini. Un être vient au monde. Rien de plus ne peut être rajouté ”.

En plus des estampes, des photos prises dans les ateliers des artistes permettent de rentrer dans leur univers quotidien. Expo Zao Wou-Ki - Musée Ernest Cognacq - Saint-Martin de Ré

 

Julia Dumoulin-Roulié - Musée Ernest Cognacq - 5 août 2018Julia Dumoulin-Roulié, directrice du musée, se dit enchantée de ces dons et des partenariats tissés :  “ Le professeur Dubois a fait le lien entre Madame Marquet-Zao, Richard Texier et le musée. Nous l’en remercions vivement. A l’échelle de notre territoire rétais, ces dons sont extraordinaires, car ces artistes sont d’envergure internationale. Et l’association des Amis du Musée Ernest Cognacq (AAMEC), présidée par Nanou de Bounonville, nous a beaucoup aidé en prenant à sa charge l’encadrement de ces estampes ”. 

Le 5 août dernier, l’exposition a été inaugurée en présence de Françoise Marquet-Zao, et du maire de Saint-Martin de Ré, Patrice Déchelette. Ce jour-là, Richard Texier a dédicacé son livre.

Je ne saurais trop vous inciter à vous imprégner, de visu, de ces univers  artistiques. L’exposition est exceptionnelle, tant par sa qualité que par l’évidence du trait d’union des deux hommes.

Elle finit le 4 novembre. Après cette date, les estampes vont être mises à l’abri dans les réserves du musée de Saint-Martin de Ré. Comme il s’agit de lithographies et d’eau-fortes sur papier, elles ont un capital lumière limité. Selon les normes de conservation préventives du Ministère de la Culture, il est préconisé de ne les sortir que trois mois, tous les trois ans… Nous ne les reverrons donc pas avant un bon bout de temps.

Vous pouvez aussi vous plonger dans le livre de Richard Texier. Le ton est enjoué, vif et pudique. Il est en outre bourré d’anecdotes, parfois drôles, “ Wou-Ki était blagueur, son tempérament réservé aimait faire des farces ” écrit-il au détour d’un chapitre. Il dit aussi toute l’admiration qu’il portait à son ami et leur point commun :  “ Pour nous deux, la meilleure façon d’enlacer la vie se résumait à un seul mot, créer ”.

 

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