Pendant toute la période de confinement COVID 19 les médias n’ont eu de cesse de poser la question : » Que sera le monde d’après ? « .
Michel Houellebecq, écrivain pour lequel je n’ai pas pourtant pas d’appétence particulière pour ses dires, a été plutôt pessimiste dans une lettre adressée à France Inter : » Toutes ces tendances, je l’ai dit, existaient déjà avant le coronavirus ; elles n’ont fait que se manifester avec une évidence nouvelle. Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde ; ce sera le même, en un peu pire « .
Sa prophétie serait-elle juste ?
Depuis lundi après-midi, une histoire, quelque peu singulière, agite l’île de Ré. Du 4 juillet au 19 septembre, une croisière intitulée Nature et terroir de Nouvelle Aquitaine devrait sillonner le rivage Atlantique.
Le bateau, le Bougainville, appartenant à la Compagnie le Ponant, devrait mouiller au large de notre île. A cette occasion, il débarquera une grosse vingtaine de Zodiac sur le Banc du Bucheron, et ce chaque semaine, les 7 juillet, 14 juillet, 21 juillet, 28 juillet, 4 août, 11 août, 18 août, 25 août, 1er septembre, 8 septembre et 15 septembre. Avec à bord, des invités d’honneur prestigieux.
Cette croisière est d’ores et déjà bel et bien programmée sur le site internet du Ponant.
Oh voilà un gros binz qui tombe sur la tête des Rétais ! Un bateau de croisière ! C’est une première. L’île de Ré serait-elle devenue la Venise de l’Atlantique, avec déversement de touristes curieux de voir de quelle nature est le joyau rétais que l’on dit exceptionnel et tant convoité ?
Le tumulte a débuté par un mail reçu à la capitainerie d’Ars-en-Ré lundi après-midi 12 juin.
Première chose étrange : ce mail est adressé à Ars-en-Ré, alors que le Banc du Bucheron se situe sur la commune des Portes, laquelle n’est pas dans la boucle des mails adressés.
Deuxième information : le bâtiment est sous pavillon français, il ne nécessite pas d’autorisation de mouillage. Néanmoins il est poliment demandé que les zones Natura 2000 et autres restrictions éventuelles soient indiquées par retour.
Quel est ce bateau ? Qui est cette compagnie ? Le Ponant appartient au groupe Pinault. Le Bougainville présente tous les symptômes du développement durable, avec emballage politiquement correct environnemental.
Il sillonne habituellement les mers du monde, pour un public très aisé, à la recherche de lieux d’exception et préservés, avec à bord 184 passagers et 112 hommes d’équipage. Il mesure 131 mètres de long.
Bienvenue dans le monde d’après, le monde post COVID !
Ces prochains mois rester en France apparaît commercialement préférable pour le croisiériste, après toute la mauvaise publicité autour des bateaux restés en quarantaine aux quatre coins du monde. Organiser un périple en façade atlantique, voilà une bonne solution de repli !
L’île de Ré est protégée au niveau environnemental : Natura 2000, Réserve naturelle, Directive oiseaux, Site Ramsar, Parc naturel marin. On ne peut pas y faire n’importe quoi. Certes le Banc du Bucheron est devenu depuis une quinzaine d’années un site où pendant l’été il est de bon ton d’aller s’y échouer à marée basse et d’y pique-niquer mais ces activités sont toujours restées dans un cadre local, amical et familial. Alors que dans les années 1960 il faisait encore le petit bonheur de quelques voiliers et de quelques pêcheurs à pied qui y trouvaient là un havre de sérénité.
Avec sa bande de sable blanc de 4 km qui se découvre à marée basse, le Banc du Bucheron est un joli site pour montrer à 180 passagers ce que c’est qu’un bel environnement ! Voici ce qui est écrit sur la fiche croisière…
Malins, les oiseaux déguerpiront peut-être à la vue de l’armada de Zodiacs !
Bien évidemment à la réception du mail l’équipe municipale d’Ars-en-Ré est vent debout. Le Président de la Communauté de Communes, Lionel Quillet, est alerté. Il prévient alors les Services de l’Etat. De même Dominique Chevillon président de Ré Nature Environnement 17 fait un bond en apprenant la nouvelle.
La première escale est prévue au Banc du Bucheron le 7 juillet. C’est demain… Il faut agir vite. Hier, mardi 17 juin, Lionel Quillet s’est mis en relation avec le responsable de l’organisation de la fameuse croisière. Le monsieur a reconnu une « maladresse » tout comme « un manque de concertation en amont ». Pour le moins…
Du côté des élus Rétais c’est NON : » Je lui ai signifié que les élus s’opposaient au niveau du principe de l’éthique et de la protection environnementale. L’échouage sur le Banc du Bucheron se fait actuellement dans une utilisation plutôt familiale et non commerciale. Il faut se souvenir qu’ il y quelques années nous avons déjà dû refuser des demandes de croisiéristes qui souhaitaient apponter à l’embarcadère de Rivedoux. De même l’organisation de fêtes sur le Banc du Bucheron, à grand renfort de puissante sono, a été rapidement stoppée » précise le président de la Communauté de Communes.
Du côté des Rétais, l’info a circulé à la vitesse de l’éclair une fois qu’Anne Deniel, actuelle conseillère municipale aux Portes, a de son côté envoyé un mail à son carnet d’adresses : « Le maire des Portes et mes collègues conseillers municipaux sont d’accord pour que je vous informe que le Banc du Bucheron, la plage de Trousse-Chemise et le Fier vont constituer une étape d’un bateau de croisière sans que l’avis de la commune et des communes voisines soit nécessaire. Ce mail ne nous était même pas destiné, la seule commune de l’île destinataire étant celle d’Ars. Ne souhaitant pas ce genre de pratique touristique sur notre rivage portingalais ni même sur le rivage rétais, toute aide est la bienvenue pour trouver des arguments légaux à opposer à ce projet afin d’inciter la compagnie Ponant à renoncer à cette étape. Vous trouverez en pièces jointes et ci-dessous le mail adressé par la compagnie PONANT et la photo et les caractéristique du paquebot ».
Pour les Rétais c’est NIET. NON NON ET NON ! L’unanimité est quasi totale, que ce soit sur les réseaux sociaux qu’au travers des mails et coups de fil échangés. Touche pas à mon Banc du Bucheron ! » Je rêve. J’hallucine. C’est une fake news. J’espère que les associations environnementales vont leur pourrir leur escale. Y’en a marre, allez polluer ailleurs. Non, ça ne va pas être possible. Ces villes flottantes dérangent la faune aquatiques. Au secours, ils sont devenus fous. Une honte ! » pour ne citer que quelques commentaires.
Quelle va être la suite ? L’histoire va t-elle faire pschitt ?
Le croisiériste a été invité à revoir son programme et trouver une porte de sortie. Le Bouganville fera-t-il escale au large de l’île de Ré avec débarquement des Zodiacs dans les ports d’Ars ou de Saint-Martin ? Je ne suis pas très sûre que les Rétais aient envie de voir un tel bateau faire escale même un peu loin du rivage, car cela créerait un grave précédent.
Ré Nature Environnement 17 est prêt à monter un beau comité d’accueil sur le Banc du Bucheron avec cornes de brume et frappe sur casseroles à l’appui si la première croisière venait à débarquer avec les Zodiacs. « Nous sommes turbulents, c’est pour ça qu’on nous aime bien ! » assure Dominique Chevillon.
Bonjour, un peu plus ou un peu moins, quelle différence maintenant ?
Nous avons déjà les hordes de caristes et les touristes de tout poil qui détruisent notre Île un peu plus chaque été…
Cerise sur le gâteau de la saison 2020 : le Tour de France !
Je profite de ce mémo pour vous féliciter pour votre blog et vous remercier de vos articles ..
Pour compléter votre article je vous invite à enquêter sur les « décharges sauvages » en pleine zone Natura 2000, précisément à St Clément – Le Gillieux ..cela fera peut être « tomber de leur chaise », nos élus et nos chers défenseurs de l’environnement ! !
Bien cordialement
Je me souviens d’un reportage télévisé diffusé sur FR3 au mois d’octobre 2019 montrant un navire de croisière au mouillage près de la baie de Scandola en Corse, avec mise à l’eau de plusieurs engins flottants pour permettre à des groupes de passagers d’aller visiter la réserve naturelle. Les gardes du Parc avaient pu intervenir à temps et le navire avait dû partir, non sans avoir endommagé les fonds marins et notamment des coraux avec son ancre.
La surfréquentation touristique de cette réserve naturelle créée en 1975, classée au patrimoine mondial de l’Unesco en 1983, est devenue au fil des ans un véritable problème écologique malgré un accès réglementé. Cette surfréquentation non maîtrisée vient de conduire le Conseil de l’Europe à ne pas renouveler le titre d’espace protégé attribué à la réserve.
A la fin des années 60, il y avait deux bateaux au départ de Porto qui proposaient la visite maritime et il n’y avait pas foule. Aujourd’hui, on compte une quarantaine de bateaux de promenade, et il faut ajouter ceux au départ d’Ajaccio et ceux au départ de Calvi.
La conduite à tenir face au risque de voir se développer ce type de tourisme bruyant et polluant est de le stopper dans l’œuf.
Concernant Ré, la solution est probablement un arrêté préfectoral du préfet maritime interdisant le mouillage au-delà d’un certain tonnage pour raison de sécurité, de protection de la nature ou de vulnérabilité des fonds. A défaut, il est aussi possible de copier nos amis vénitiens opposés aux « grandi navi » dans le canal de la Giudecca.
Bonne journée !
Horace Tacouère