D’après vous combien de temps faut-il à un homard, Homarus gammarus, pour atteindre la maille légale, la taille réglementaire, pour la pêche de loisir ?
La réponse est cinq ans. Le homard pèse alors environ 500 grammes.
Celui sur la photo est né en 2013. Il fait partie des toutes premières post-larves ré-implantées à l’île de Ré, lorsqu’elles avaient trois mois, dans le cadre de l’action de ré-ensemencement du homard. Cette action est menée par les Ecogardes de la Communauté de Communes et financée par l’écotaxe.
Comme ses petits frères et soeurs , il est né dans l’écloserie anglaise, de Padstow en Cornouailles, The National Lobster Hatchery.
Son histoire n’est pas banale.
En août 2013, 3 000 homards ont été lâchés dans la réserve, au large du Phare des Baleineaux à Saint-Clément des Baleines. De retour à terre, les Ecogardes se sont aperçus qu’une larve était restée accrochée dans une logette des paniers. Bébé homard avait 3 mois, il mesurait un tout petit centimètre
Il semblait vif, en dépit du fait qu’il était resté quelques jours à l’écart.
Fabienne Legall, écogarde coordinatrice du projet de réintroduction à l’île de Ré, lui a donné la becquée, en le nourrissant de petits morceaux de moules. Il s’est parfaitement adapté à l’aquarium dans lequel il a été déposé. Au bout d’un an, il mesurait déjà 3 cm.
“ Celui-là on ne le mangera pas, c’est la mascotte ! ” s’amuse t-elle.
Il répond au doux nom de Echinomard. Il a déjà mué plusieurs fois. En effet, chaque phase de croissance du homard s’accompagne d’une mue. Le crustacé sort de sa carapace devenue trop étroite. Il est alors tout mou. Quelques jours plus tard, sa carapace se régénère.
A chaque fois Echinomard a tranquillement mué, au cours de la nuit, à l’abri des regards. Fabienne a soigneusement conservé les mues et elle les a datées. Néanmoins les toutes premières mues n’ont pu être identifiées, car le homard peut manger occasionnellement sa vieille carapace afin de se régénérer.
Pourquoi la mue est-elle rouge alors que le homard est bleu ? “ Lorsque le homard mue, elle est bleue. Au fur et à mesure de l’exposition à la lumière, et au fil du temps, elle devient de plus en plus rouge ” explique Fabienne.
Etonnement garanti !
Les mues suivantes sont tout aussi surprenantes, au vu des photos.
En janvier 2016, la mue a été complète. Mais une pince est restée coincée dedans. Echinomard a vécu quatre mois avec une unique pince. Ensuite il l’a perdu.
Ce qui explique qu’à la mue suivante, en mai 2016, on ne voit pas du tout de pinces.
Le homard a la faculté de faire repousser ses membres. Après cette mue, ses deux pinces se sont reformées, mais de façon différenciée.
Sur la mue de décembre 2016, on ne voit qu’une seule pince. Et pourtant il en a bien deux, une grosse à droite, et celle de gauche toute petite, à peine perceptible.
Aujourd’hui il a bien ses deux pinces, il est normalement formé.
La dernière mue remonte à il y a plus de six mois. La prochaine ne devrait plus tarder, semble t-il.
Chaque été, depuis 2013, 3 000 homards ont été relâchés, toujours au large du phare des Baleineaux, sur différents sites, dans une zone quasi inaccessible, et interdite de pêche aux crustacés depuis 1974. Au total, ils sont donc 15 000 bébés homards à avoir été implantés. “ Un petit coup de pouce à la nature ” affirme Fabienne.
Une femelle peut porter entre 5 000 et 50 000 oeufs. Le homard a des prédateurs, notamment le congre. Il est friand de ce crustacé, notamment lorsqu’il mue et qu’il est fragilisé.
Le 19 juin dernier, en piste pour le 5ème lâcher et le dernier, ainsi que le prévoyait le programme. Au port de Saint-Martin, les Ecogardes, les équipes de plongée du Nautilus de l’île de Ré et du Subaqua de La Rochelle, et celle de l’Aquarium de La Rochelle sont à pied d’oeuvre. Le maire, Patrice Déchelette, donne un coup de main pour décharger les camemberts blancs dans lesquels les post-larves ont été logées une à une.
Six jours auparavant, les post-larves sont arrivées de Cornouailles. Elles ont séjourné à l’Aquarium de La Rochelle et au lycée aquacole d’Ars-en-Ré.
Chaque ré-implantation a fait l’objet d’ateliers spécifiques pour les écoliers de l’île de Ré. Depuis cinq ans, 2 047 petits Rétais ont été sensibilisés au sujet, et à la nécessaire préservation de leur environnement.
Cette année c’était le tour de ceux de La Flotte, de Rivedoux, et du Bois-Plage. Les enfants sont venus sur le port de Saint-Martin pour dire au revoir aux bébés homards.
En parallèle, il a été proposé que, petits comme grands, adoptent un homard. A ce jour, 2 507 homard ont été parrainés. Une fois par an, le parrain ou la marraine reçoit des nouvelles de son homard.
Dans la réserve des Baleineaux, les plongeurs de loisirs ont, ces deux dernières années, aperçu des homards. Régulièrement ils informent les Ecogardes de leurs observations. En 2016, 98 homards ont pu être vus, au cours de 32 sorties en plongée.
L’entreprise Créocéan de La Rochelle a été mandatée pour mener une étude de suivi, pendant les cinq prochaines années.
Des pêcheurs professionnels qui capturent les homards au moyen de casiers sont aussi mis à contribution. Chacune de leurs prochaines prises va faire l’objet d’un prélèvement de petit bout de queue pour faire l’objet d’une analyse génétique. Elle dira si le homard est Anglais ou Rétais.
En parallèle, une cartographie des habitats va être établie, à partir de plongées, pour identifier les habitats naturels favorables à l’espèce autour de l’île de Ré.
Petit homard deviendra grand. Echinomard est déjà un mâle vigoureux. Il mesure 21 cm. Un coup de queue le propulse 3 mètres plus loin, en une 1/2 seconde. Il a bien huit pattes + deux pinces. Il appartient à la famille des décapodes. Une particularité : il fait pipi par ses antennes. Ça a beaucoup fait rire les enfants, qui sont venu le voir au lycée aquacole d’Ars.
Il a deux belles pinces : la grosse lui sert pour broyer, la plus fine, effilée, lui sert pour couper. Pas question de lui faire un guili-guili sur le ventre, un doigt pourrait être vite sectionné !