Paul Georgelet, ce nom vous dit peut-être quelque chose ? Ceux qui font leurs courses l’été sous la halle du marché d’Ars le connaissent, il propose des fromage de chèvres exceptionnels. Il y a aussi ceux, amateurs de ses spécialités, qui l’ont rencontré lorsqu’il a posé son premier banc à l’île de Ré, au marché de La Couarde en 1986.
Il y a six mois, Paul Georgelet a décidé de s’installer durablement à l’île de Ré. Il a racheté l’exploitation de la chèvrerie Lefort, à Loix. “ Bienvenue dans ma ferme ! ” dit-il d’un geste ample.
Les chèvres n’ont guère de secrets pour lui. Depuis 45 ans, il les côtoie dans son élevage à Villemain, dans les Deux-Sèvres. C’est là qu’il fabrique Mothais sur feuille, Chabichou du Poitou AOP, Rond de Lusignan, Tricorne et Tomme. Et aussi une de ses spécialités qui porte un nom évocateur, le 85 B, un fromage en forme de dôme, crémeux à l’intérieur.
Goûter un p’tit bout de n’importe lequel de ses fromages entraîne immédiatement l’envie d’une nouvelle bouchée. Et ensuite vous vous sentez capable de dévorer le fromage entier !
Selon Paul, rien de plus normal : “ La texture de pâte est d’un grain très fin. Le premier goût en bouche est sans excès, le second apporte une longueur équilibrée. Les goûts successifs arrivent pour vous emmener en voyage ”
Ceux qui le connaissent savent que Paul Georgelet phosphore en permanence. Il cherche, il invente. Il est perfectionniste, est-ce un défaut ou une qualité ? Il veille au moindre détail dans toutes les étapes de processus de fabrication de ses fromages : foin, traite des chèvres, affinage. Il détient des secrets certains.
Il défend ses produits et son métier d’éleveur et de fromager avec conviction. Il aime citer son “ slogan de prédilection : de la fourche à la fourchette ”. Il résume bien sa quête permanente de qualité absolue.
Ses fromages figurent sur les meilleurs étals de France et de Navarre. Ils sont distribués dans 70 points de vente, notamment chez de réputés maîtres fromagers parisiens. Tels Androuet, Marie-Anne Cantin, Barthélémy, Laurent Dubois, La Ferme Saint-Hubert, la Ferme de Passy, Priet, pour ne citer que quelques uns. Mais aussi dans le monde entier où il exporte à Londres, au Canada, au Japon, en Allemagne, en Belgique et en Suisse.
Il rend hommage à son ami, Pierre Boursault, Parisien mais aussi Arsais. Une immense figure du monde du fromage, qui l’a poussé à déplacer son banc du marché de La Couarde à celui d’Ars.
Il se souvient de cette époque avec délice : “ C’est lui qui m’y a introduit auprès de Nana Zélie, placière du marché d’Ars, en 1988. Je quittais Villemain pour deux mois pendant l’été. Je dormais dans une caravane au camping du Puma, et je stockais mon matériel et mes produits à La Flotte. J’avais un mètre de banc, un parasol et une petite remorque. J’étais installé dehors sur la place du marché, avec le statut de volant. Il y avait la queue en permanence devant mon stand ! Cela a duré 30 ans ainsi. Ensuite l’équipe communale m’a proposé de rentrer sous la halle du marché. Mais je n’en voulais pas, j’étais bien comme ça. Je crois que je pourrai écrire un livre sur la vie du marché d’Ars ! « .
Quelle mouche l’a donc piqué pour qu’il se lance dans une nouvelle aventure à Loix ? L’attrait pour l’île de Ré, tout simplement.
“ A 65 ans, je suis un peu fou ! ” reconnaît-il. “ Une fois les deux mois d’été passés ici, je restais sur ma faim lorsque je rentrais à Villemain. Je voulais vivre l’île de Ré hors saison. Je me suis créé un réseau de producteurs locaux, de clients, de restaurateurs et d’amis. Reprendre cette ferme à Loix, pour moi c’est une seconde vie, c’est régénérant ! ”.
Lorsque fin 2016, l’opportunité de la chèvrerie Lefort s’est présentée, il a foncé : “ J’ai cassé ma tirelire ”. Un nouveau défi s’offre à lui : “ J’ai tout à faire. Me familiariser avec le territoire rétais, adapter l’outil de travail à ma main et créer de nouveaux produits 100 % Rétais ”.
Fin décembre, au marché festif d’Ars, il a fait goûter ses premiers essais de tomme rétaise. Son exigence lui fait dire qu’il n’est pas encore tout à fait satisfait, mais ça vient…
Pour sa ferme de Loix, il envisage au moins deux produits : la tomme lactique et un fromage frais nature, typé, décliné en quatre variantes : sans sel, à la fleur de sel, aux algues et à la salicorne. “ Je vais apporter ma patte et mon savoir-faire. Ce que je maîtrise bien depuis 45 ans, c’est le fromage de chèvre au lait cru ”.
Aux premières fauches de mai 2017, il a découvert le foin de l’île de Ré et ses caractéristiques. Elles l’ont quelque peu surpris. Ah ! il n’est pas le même que celui de Villemain ! “ Il m’a fallu un mois pour m’adapter au lait des chèvres de l’île de Ré. Ça a été compliqué ” confie t-il. “ J’ai cherché à comprendre la différence avec celui des Deux-Sèvres, et ses conséquences sur la fabrication du fromage. Il n’y a pas de règles scientifiques, tout se fait par tâtonnement et empirisme. Le foin de l’île de Ré est la base des 3/4 de l’alimentation des chèvres de la ferme. La nature du sol + les embruns salés + le vent qui sèche le foin de façon particulière, font une différence importante dans la composition de la nourriture des bêtes ”.
Combien de temps faut-il pour faire un fromage ? “ Après la mise bas, il faut quinze jours pour obtenir un lait équilibré et de bonne qualité pour faire le fromage. Un jour est nécessaire pour le caillage. Deux jours pour le moulage et l’égouttage. Dès le troisième jour, on sait déjà ce que ça va donner. Pour la tomme, un mois est nécessaire depuis l’égouttage jusqu’à l’affinage ”. Nous n’en saurons pas plus, le reste relève du tour de main. Maîtriser ce métier est tout un art.
Les chèvres donnent leur premier lait après qu’elles aient mis bas, au printemps. En hiver, c’est la période dite de tarissement, elle dure deux mois.
L’élevage de Loix comporte 150 chèvres blanches, de bonnes laitières de race Saanen. 50 chevrettes assurent le renouvellement du troupeau. Et les 6 boucs font les bébés chevreaux.
Paul Georgelet a introduit quelques boucs de sa ferme de Villemain, façon d’expérimenter quelques croisements. Encore et toujours la recherche qui lui tient à coeur. “ Le premier croisement est excellent en résultat. En apportant des sangs différents, des origines différentes, cela casse les fragilités des chèvres. Je fais cela sur un an, et après je reviendrai aux boucs blancs ”. Serait-ce un coin de voile levé sur les secrets de l’éleveur ?
Ah oui, on voit bien dans le troupeau, que certaines robes ne sont pas uniformément blanches. Un peu de marron prouve le métissage.
Que murmure-t-il à l’oreille des chèvres et des boucs !
Paul Georgelet est actuellement en plein recrutement. Outre Christophe le chevrier, il cherche à engager un, ou une fromagère, qu’il va former dans sa ferme de Villemain. Et un, ou une vendeuse, pour tenir les bancs des marchés du Bois-Plage et des Portes, où il présentera sur les étals les spécialités de ses deux fermes.
Dans les prochaines semaines, il a du pain sur la planche. Il doit encore investir pour remplacer l’outil de traite par du matériel plus moderne.
“ Il sera sur une seule ligne, pour permettre aux visiteurs de participer concrètement à la traite avec nous. Toucher les mamelles et sortir quelques gouttes de lait font partie de la découverte initiatique du métier d’éleveur ”.
Les idées affluent dans son esprit : Etre labellisé bio dans deux ans, cela passe par une certification des terres. Faire visiter la chèvrerie de Loix comme par le passé, mais sous une forme différente, en montrant au public les différentes étapes de la fabrication des fromages.
Un jour, assisterons-nous peut-être à des cours de cuisine à base de fromage de chèvre, en partenariat avec les restaurateurs locaux ?
“ Regarde comme c’est beau ! ” s’émerveille t-il en regardant la mer au bout de son exploitation loidaise.
Il ne quitte donc pas sa ferme de Villemain pour autant. Il mène en parallèle les Deux-Sèvres et l’île de Ré. Les panonceaux sont prêts. “ Le langage est identique, mais les produits sont différents, complémentaires, et typés selon les terroirs ”.
Quand dégusterons-nous les fromages de chèvre 100 % île de Ré, signés Paul Georgelet ? “ En avril. Et pourquoi pas le 1er ? Et ce ne sera pas un poisson d’avril ! ” conclut-il avec large sourire.