Vacances (de rêve) à Couny

La destruction des blockhaus de la Conche des Baleines ravive incontestablement les souvenirs. Dans les années 50, une famille, mi-rochelaise mi-rétaise, a passé quatorze ans de vacances en plein air, en haut de la dune. Les blockhaus de Couny étaient la cabine de bains des parents et des enfants.

Blockhaus de Couny - Les Portes-en-Ré - 7 octobre 2016
7 octobre 2016.

« Nous habitions La Rochelle, et nous venions régulièrement à l’île de Ré au moulin de Saint-Clément, que mes grands-parents louaient à l’année. Après la Libération, Jacques, mon père, qui était avocat à La Rochelle, a saisi l’opportunité de louer deux blockhaus aux Domaines. Ça a duré de 1947 à 1961. Mes parents, mon frère, ma soeur et moi, partions au blockhaus le matin avec le pique-nique, nous passions la journée à la plage et nous rentrions le soir au Moulin Daniel » raconte Michel Villeneau.
Blockhaus de Couny - Photo album Michel Villeneau

Dans quel état étaient les blockhaus lorsque Jacques Villeneau en est devenu locataire ? « Tout était vide, tout avait été pillé, il n’y avait plus rien. Deux ans après la fin de la guerre, ils étaient remplis de sable. C’était un endroit de rêve. J’avais 6 ans quand ça a débuté pour nous ».

Comment ont-ils été aménagés pour se transformer en lieu de farniente ? « Nous nous y sommes tous mis. Nous avons pelleté le sable, nous avons nettoyé et chaulé l’intérieur. Les deux ouvertures des blockhaus étaient béantes. Mon père a fait fabriquer des portes en bois, par le menuisier de Saint-Clément. Ainsi que cela se fait pour les hangars à sel, nous les avons passé au carbonyle, pour éviter la pourriture. Nous avons barbouillé nous-mêmes. Il y avait encore les filets de camouflage en fil de fer, au dessus des portes, nous les avons conservés un certain temps, puis ils ont été rongés par la rouille.

Chaque printemps nous sauvions les bébés crapauds pélobates qui étaient tombés dans les blockhaus, et qui ne pouvaient plus remonter. Nous les faisions sortir un à un, il y en avait beaucoup alors, des centaines, ça sautait partout ! Maintenant c’est une espèce protégée, car menacée ».

« Malgré les portes, il y avait toujours du courant d’air par les ouvertures des canons. Plus tard, nous avons fait installer une baie vitrée fixe. La vue sur la pointe du Lizay était magnifique. Nous nous avons passé des heures et des heures derrière la vitre à regarder la mer ».Blockhaus de Couny - Photo album Michel Villeneau

Comment appeliez-vous ce lieu ? « Nous disions que nous allions au blockhaus, tout simplement ». 

Comment était la végétation tout autour ? « L’espace était vaste. Nous étions tranquilles, mais il arrivait que de rares touristes le traversent. Nous avons donc clôturé avec des piquets en bois, depuis ce qui est aujourd’hui le parking de Couny, jusqu’au sommet de la dune. Nous étions ainsi chez nous ! 

ll n’y avait pas d’arbres, seulement des herbes de dunes, des oyats, des immortelles, des restes de vigne et un figuier. Les seuls arbres de la dune étaient les chênes verts du bois de la maison du douanier.

Autour des blockhaus, il y avait des chemins de ciment, des pistes partaient vers les casemates environnantes. Ils sont sûrement encore enfouis sous le sable. Pour accéder au blockhaus, nous empruntions un chemin empierré, aujourd’hui goudronné ».Blockhaus de Couny - Photo album Michel Villeneau

Avez-vous vu la dune reculer ? « Oui. Tous les ans un peu plus. Mon père prédisait qu’un jour le blockhaus tomberait sur la plage. Je ne pensais pas voir cela de mon vivant, et mon père encore moins… Il y a soixante ans, 30 mètres environ séparaient le blockhaus du début de la dune. La maison du douanier était aussi à 50 mètres du bord ».

Maison du douanier - Conche des Baleines - Ile de Ré -7 octobre 2016
7 octobre 2016.

La famille en a t-elle beaucoup profité ? « A la base, nous n’étions qu’un petit groupe de cinq. Les oncles, les tantes, les cousins, les amis, les grand-mères nous rejoignaient de temps à autre pour y passer du bon temps. En quatorze ans, nous avons eu le loisir d’améliorer le confort intérieur. Pour faire la sieste, mon père avait apporté des lits de camp, des lits picots. Nous avions aussi un réchaud butagaz sur lequel nous faisions frire des anguilles que nous pêchions dans les chenaux. Devant le blockhaus, à même le ciment, nous faisions des barbecues. Nous apportions de l’eau avec des jerricans et des bougies pour nous éclairer ».

Bien mieux que Robinson !

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« Mon père avait construit un bar, avec deux volets arrondis. Bacchus et Nymphe y étaient peints, un verre à la main. A l’adolescence, la fratrie a fait ses premières surprises-parties. Quand l’armée américaine était encore à La Rochelle, nous avons fait une grande surboum. Avec un phono à manivelle, nous écoutions du jazz sur des 78 tours. On a dansé toute la nuit avec les copains Américains dans le blockhaus ! Comme quoi, il n’y a que les montagnes qui ne se rencontrent jamais…

Nous accédions à la plage par un petit chemin creux. Je possédais deux canoës canadiens en bois, que j’ai toujours d’ailleurs. Lorsqu’il faisait beau, on descendait à la mer, on poussait les canoës à la nage devant nous, en passant les rouleaux, comme un surf. C’était un peu dangereux quand même…Nous étions seuls au monde, il n’y avait quasiment personne sur la Conche. Nous pêchions des araignées juste devant. Elles remontaient à la côte, sans doute pour se reproduire,  il y en avait partout et en grandes quantités.

A l’adolescence, il m’est arrivé de passer des week-ends enters au blockhaus avec mes amis. Nous y dormions. Je me souviens du bruit étonnant et sourd des vagues qui se brisaient sur la plage, et qui résonnaient dans le blockhaus. C’était impressionnant ».

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Michel confirme que tous les blockhaus aux alentours étaient ainsi loués. « Nous nous connaissions tous, ce n’était pratiquement que des Rochelais ».

Comment s’est terminée l’aventure ? « Les Domaines n’ont pas renouvelé le bail. Je suppose que des pourparlers étaient entamés avec Zanuck, qui envisageait déjà de tourner là des scènes du Jour le Plus long. Nous étions tristes de quitter notre terrain de jeu favori ».

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Blockhaus de Couny - Photo album Michel VilleneauQu’en reste-t-il après toutes ces années : « De merveilleux souvenirs, inoubliables. J’ai passé mon enfance à jouer et à me promener dans les dunes. Ces moments nous ont donné le goût de la vie au grand air, en pleine nature, et il m’en reste des traces certaines…

Voir les blockhaus être détruits, ça me fait mal bien sûr, mais ils n’ont pas leur place sur la plage, aujourd’hui ils ressemblent à des épaves ».

 

Le lieu-dit sur la Conche des Baleines porte le nom de Couny. Le mot a été francisé. Au départ, les Allemands les nommaient Casemates de KUNI. Elles sont situées sur la commune des Portes. « Les Rétais disaient Counil. A mon avis, ce mot a pour origine le mot latin cuniculus, car il est de notoriété que nos dunes sont envahies par les lapins ! » ajoute Michel Villeneau.

Blockhaus de Couny - Photo album Michel Villeneau

Dans les semaines qui viennent ces blockhaus seront détruits.

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Un grand merci à Michel Villeneau, Casseron, qui s’est gentiment prêté au jeu de l’interview et qui a ouvert ses albums photos pour le blog.

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