PPRL, place aux experts

Vendredi soir, 23 novembre, Lionel Quillet, président de la Communautés de Commune a convié les Rétais à une nouvelle réunion publique à propos du Plan de Prévention des Risques Littoraux. La salle Vauban de Saint-Martin de Ré, était pleine à craquer. Avec près de 400 personnes présentes, l’intérêt des Rétais  est palpable. Cette fois-ci, la parole a été donnée à trois experts.

Jean-Marc Février avocat de Droit public, Didier Rihouey président de CASAGEC Ingénierie et J.W. Van Der Meer, spécialiste mondial des digues, sont donc monté à la tribune pour expliquer les enjeux du PPRL et de la construction des digues et ce qui est concrètement fait actuellement sur le terrain.

Ce soir-là j’ai appris que 108 km de côtes entourent l’île de Ré.  Jusqu’à présent, je n’avais  pas intégré ce chiffre. C’est beaucoup pour une petite île comme la nôtre !PPRL - Ile de Ré - 108 km de côtes

 

  • 32 km sont des dunes, des falaises, des cordons et les galets. Ces protections naturelles n’ont pas rôle de digue, elles ne peuvent pas être prises en compte dans les PAPI (Programme d’ Actions de Prévention contre les Inondations). « On ne peut pas faire de travaux pour l’instant car nous n’avons pas d’autorisation de l’Etat. Elles sont sans propriétaires, sans maîtres, personne n’en a la responsabilité, sauf si quelqu’un décide de prendre son tractopelle pour créer un remblai » a expliqué Lionel Quillet.  
  • 42,8 km d’ouvrages digues ne sont à personne. Elles ne sont ni à l’Etat, ni au Conseil général, ni aux collectivités, elles sont hors classement. « Il n’y a pas de projet dessus ».
  • 37 km sont des digues labellisées PAPI. Elles ont été validées pour 45 millions d’euros de travaux à venir. Elles ne sont à personne, elles n’ont pas de propriétaire. « La CDC et le Conseil général ont accepté d’y faire des travaux. Va certainement en découler une responsabilité ».
  • 9,5 km sont des digues pérennes. Elles ne sont à personne.  « Mais comme nous en avons fait les travaux, nous en assurons la responsabilité au titre progressif de la gestion ».
  • 1,4 km est une digue classée. « Elle appartient indirectement à la CDC, puisque les travaux ont été faits. Elle a été ensuite classée par la volonté de l’Etat. Nous en sommes le gestionnaire, nous n’en sommes pas propriétaire. Par la gestion, elle devient notre digue ».

Une fois expliqué cela paraît simple, mais c’est quand même bien compliqué… 

Place à l’expert juridique. Maître Jean-Marc Février est avocat de Droit Public au Barreau de Paris. Il est professeur agrégé des facultés de Droit et spécialiste en droit de l’Urbanisme et de l’Environnement.

C’est quoi une digue ? Quelle en est la définition ? Quelle en est la réglementation ? A quoi servent les études de danger ?

A qui sont ces digues ?  Les digues sont orphelines, un mot qui a son importance car le propriétaire ou l’exploitant de la digue en sont responsables. Ces derniers mois, la prise de responsabilité des digues a souvent été posée, avec à la clé des enjeux de sécurité publique et des enjeux financiers.

La responsabilité du gestionnaire de l’ouvrage est engagée dès lors qu’il a réalisé des travaux sur les digues. Il est aussi question du rehaussement des digues, ce n’est pas demain que nous les verrons plus hautes, mais est-ce bien nécessaire ?

La circulaire nationale du 27 juillet 2011, a servi de base à l’Etat pour réaliser les cartes d’évaluation des niveaux d’eau, sorties en juin 2013, lesquelles cartes ont stoppé bien des projets d’urbanisme.

Pour terminer, Maître Février a parlé de la « mitigation ». Encore un nouveau mot avec lequel nous allons devoir nous familiariser ! Ce mot n’est pas une bonne nouvelle. Dans le cadre du PPRL,  les propriétaires, voire les locataires ?, devront à mettre la main au portefeuille pour mettre aux normes les habitations existantes en zone inondable. Et ce, à hauteur de 10 % de la valeur vénale du bien. Au risque si ces travaux ne sont pas réalisés de ne plus être assurés correctement. La mitigation risque encore une fois de faire couler pas mal d’encre…

La CDC a confié un marché au groupement Casagec – Van Der Meer – Adamas qui doit permettre de mesurer l’analyse du risque, et dans quel sens le PPRL peut évoluer.

« En janvier 2014 une nouvelle carte va sortir, elle sera la nôtre. La volonté étant qu’elle soit acceptée par l’Etat, voire concertée jusqu’à mars. Cette carte a la valeur technique que nous lui donnons dans le cadre de nos experts techniques. Tant qu’elle n’est pas validée par l’Etat, on se retrouve avec deux cartes. Notre volonté c’est de faire admettre cette carte, afin d’être au plus près du risque, et que ce qui est en risque soit inconstructible et que qui ne l’est pas ne le soit pas. Cela peut durer un certain temps s’il y a des allers et retours avec l’Etat. Elle nécessitera une concertation » a expliqué Lionel Quillet.

Deuxième expert, Didier Rihouey, président de CASAGEC Ingénierie. Il est ingénieur océanographe, Docteur en Génie civil. Les références de l’entreprise qu’il dirige sont éloquentes. Caractérisation de l’aléa submersion pour les PPRL de Hendaye, Saint-Jean de Luz et Capbreton, étude de danger pour Saint-Jean de Luz, élaboration d’une stratégie de espion du trait de côte de Mimizan…

Cartes à l ‘appui, il a démontré l’incohérence de la méthode forfaitaire utilisée par les services de l’Etat pour définir les cartes de niveaux d’eau : ruines et brèches de l’ensemble des ouvrages une heure avant la pleine mer, effacement de la digue jusqu’à la cote du terrain naturel en arrière, application d’un forfait linéaire de brèches. « Cette méthode forfaitaire  induit dans ses modélisations des choses pas réalistes ; nous avons besoin d’introduire de la progressivité » a t-il affirmé.

Un diagnostic précis du système de protection est en cours de réalisation sur l’ensemble des 100 km de côtes rétaises. Un travail de fourmi, pour ne pas dire de Titan, afin apprécier le terrain dans sa réalité.

Après ce diagnostic, il faudra modéliser pour définir la fameuse carte d’aléas, en tenant compte de multiples paramètres.

Place au 3ème expert, Jentsje Wouter Van Der Meer. Son curriculum vitae est impressionnant. Ingénieur Génie civil, il est mondialement reconnu en évaluation, conception et essais de structures de protection côtière, spécialiste de l’impact des vagues sur les structures. Il a publié plus de 150 articles scientifiques. Il est intervenu aux USA, en Louisiane, dans le Mississipi, après le passage de l’ouragan Katrina, au Pérou, à Abou Dhabi, au Vietnam, en Malaisie, il est demandé un peu partout dans le monde… « Toute ma vie professionnelle, j’ai travaillé avec les vagues » a t-il dit.

Peut-on vraiment protéger l’île de Ré l’a questionné Lionel Quillet ?

Comme le nom de M. Van Der Meer l’indique, il est Hollandais. Dans son pays, on est habitué à vivre en dessous du niveau de la mer.  Son expertise du sujet est indéniable.

« Après 1953 nous avons décidé de nous défendre nous-mêmes. Nous augmentons la taille de nos digues, nous nous protégeons nous-mêmes. Cela a pris 30 ans pour élever toutes les digues aux Pays-Bas. La protection est toujours ce qu’il y a de mieux. Cela affecte 70 % des gens, donc c’est normal que le gouvernement prenne en charge la totalité du coût. Des comités, des établissements publics indépendants, se chargent de veiller sur les digues. On sait qui est vraiment responsable, ça ne pose pas de problème. En 2008, le gouvernement hollandais a déclaré que c’était toujours la priorité et qu’il fallait trouver de nouvelles solutions. Les Pays-Bas sont tellement bas qu’il faut toujours prendre en compte les possibilités d’inondations dans les plans d’urbanisme. En plus des digues, il faut aussi prévoir des plans d’évacuation, c’est une leçon qui nous a été apprise par l’ouragan Katrina. Si on sait où sont les endroits les plus hauts, ce devrait être plus facile ».

Deux slides ont montré ce qui a concrètement fait en Hollande après les inondations de 1953, dans lesquelles 1800 personnes avaient trouvé la mort.

Après les principes posés, la méthodologie…  Mr Van Der Meer a pris comme exemples quelques ouvrages rétais déjà analysés, en y préconisant le cas échéant, des travaux : la digue de la plage du Gros Jonc aux Portes, la digue du Martray, Le Goisil à la Couarde, la digue de Montamer à Sainte-Marie et la digue des Doreaux à Saint-Clément. En fait, du sur-mesure pour chaque point faible, et des solutions finalement pleines de bon sens.

Et maintenant quelle suite ?

Pour le moment, les cartes de niveaux d’eau sorties en juin dernier sont celles utilisées par l’Etat pour instruire les permis de construire ou d’aménager. Actuellement environ 130 dossiers sont entre les mains des services de la DDTM. Normalement une réponse devrait être apportée à chacun d’eux début décembre 2013.

Les professionnels rétais se disent vraiment préoccupés par une situation qu’ils aimeraient voir évoluer rapidement. On entend parler d’entreprises qui commencent à être en difficulté : les carnets de commandes sont vides, je vais  quitter l’île de Ré et aller ailleurs, je cherche des chantiers, j’ai une visibilité à trois mois pas plus… 

Les transactions immobilières sont quasi au point mort, seules quelques acquisitions se font. Les banques ne montent peu ou pas de dossier de crédit immobilier.

Les propriétaires de terrains  aimeraient bien savoir à quelle sauce ils vont être mangés : mon terrain sera t-il constructible, comment assurer l’égalité entre mes enfants, sur quelle base dois-je estimer une succession, voire quel sera le montant pris en compte pour l’ISF.

Et puis il y a les élus qui se battent pour tenter de trouver des solutions, en concertation avec les services de l’Etat. Il y a aussi ceux qui désapprouvent l’attitude des élus qu’ils jugent outrancière.

Bref, la sensation partagée est que nous sommes dans un tunnel, et que cela ne va pas s’arranger tout de suite. Même si, ces dernières semaines, les élus se disent plus confiants en l’avenir.

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