Lorsque je vois des troncs d’arbres coupés sur le bord de la route j’ai le coeur qui se serre. Pourquoi ont-ils été tronçonnés ? Etaient-il malades ? Il paraît que les arbres communiquent entre eux, qu’ils ont une vie et un langage secrets, qu’ils s’entraident et qu’ils se nourrissent et apprennent les uns des autres…
Depuis une quinzaine de jours, dans la foret de la Combe à l’Eau à Ars-en-Ré, des rangées de troncs sont alignées le long de la route. Un suave parfum de résine s’en dégage.
L’ONF (Office National des Forêts) est à pied d’oeuvre pour régénérer cette forêt plantée dans les années 1960, là où avant-guerre des parcelles agricoles étaient autrefois exploitées. Cette forêt n’a donc pas poussé spontanément. Elle est dite de « première génération ». On y trouve deux sortes d’arbres : des pins Larico de Corse et des pins maritimes, à l’écorce rouge.
Le territoire géré par l’ONF à l’île de Ré représente une superficie de 400 hectares : forets domaniales + espaces dunaires. Il fait l’objet d’un plan de gestion, réévalué tous les dix ans par l’ONF et approuvé par le Ministère de l’Environnement, site classé oblige. Le dernier plan remonte à 2012.
« La dernière fois que l’abatteuse est intervenue ici, c’était il y a dix ans, juste après la tempête Xynthia » précise Jean-Bernard Duprat, responsable de l’unité territoriale ONF Charente-Maritime.
Avant que l’abatteuse intervienne il se passe un bon laps de temps. Il faut notamment anticiper l’ensemble de la chaîne logistique : identifier les parcelles sur lesquelles intervenir, regrouper sur une période donnée le passage de la machine car c’est un investissement conséquent, et prévoir la destination finale du bois coupé. En outre l’abattage est généralement réalisé entre novembre et mars pour tenir compte des nichées d’oiseaux du printemps.
En 2017 les arbres à couper de la foret de la Combe à l’Eau ont été identifiés sur quatre parcelles. C’est ce qu’on appelle le martelage en langage forestier.
Quatre années plus tard, on distingue difficilement les traces de marquage.
Toutefois pour la coupe de ces derniers jours, l’abatteuse n’a pu intervenir que sur trois points, soit sur 62 hectares. Impossible pour la quatrième parcelle en raison de la présence d’une héronnière. Il ne faut pas déranger la trentaine d’oiseaux qui y nichent et se reproduisent.
Quels arbres ont été sélectionnés pour la coupe ? Essentiellement les plus petits. Les plus forts sont conservés. Ceux dont les graines des pommes de pin vont se replanter aux pieds afin de renouveler l’espèce. « C’est comme une planche de carottes, nous devons éclaircir pour que les beaux sujets puissent se développer aisément » illustre Monsieur Duprat.
Quel âge avaient les arbres coupés ? Les stries du bois nous indiquent leurs années de vie. Au centre, le coeur poussé récemment. A la périphérie les marques sont serrées les unes près des autres au plus près de l’écorce. On peut distinguer entre vingt et trente stries.
Il est vrai que les arbres coupés n’avaient pas bonne mine. L’air salin a bien attaqué branches. Elles sont grises !
L’abatteuse est une drôle de machine.
Le forestier la manoeuvre depuis sa cabine. L’action est prestement menée : coupe, ébranchage tout au long du tronc (cela ressemble à un épluchage), tronçonnage, passage des roues sur les branches laissées au sol. En gros, quelques dizaines de minutes pour chaque arbre.
Une fois abattus les troncs sont savamment classés en trois catégories. Il faut être habile à la manoeuvre pour empiler les tronçons et stabiliser l’édifice.
Que vont devenir ces jolis troncs bien sains ? « Les produits sont façonnés par l’abatteuse en fonction du cahier des charges défini en amont par les besoins de l’usine de transformation » ajoute le responsable de l’ONF.
Les parties tordues, en général celles de la cime, serviront à faire de la pâte à papier, des panneaux de particules ou des cagettes.
Le bas de l’arbre sera reconverti en bois de palettes, en chevrons, en lattes…
En raison du terrain sableux les pins de l’île de Ré ne sont pas de gros spécimens. Ils ne peuvent pas servir pour fabriquer des meubles. Rassurons-nous, ce bois ne sera pas exporté, il restera en France.
Où va-t-il être transporté ? Dans des scieries régionales des Deux-Sèvres et de la Gironde.
Dans la foulée, un tel abattage va être effectué dans la forêt du Lizay aux Portes-en-Ré. Mais dans une moindre proportion. Dans trois semaines l’ensemble du travail sera terminé, vraisemblablement avant les vacances de Pâques.
2000 m3 de pins de la Combe à l’Eau à Ars et 300 à 400 m3 de pins du Lizay aux Portes seront prêts à être acheminés sur le continent par camions. Une quarantaine de rotations sont prévues.
Sous le couvert, les résidus de branches sont laissés sur le sol. Ils vont être tassés pour ne pas prendre feu. Là encore les pommes de pins pourront libérer leurs précieuses graines pour que la forêt se régénère.
Autrefois des coupes sèches étaient opérées. La façon de faire a évolué. Aujourd’hui on conserve des morceaux de troncs pour que les oiseaux et les insectes y trouvent refuge.
Le chemin labouré par les passages des engins sera aplani. D’ici quelques semaines les promeneurs retrouveront leur parcours de balade préféré…
Effectivement là où l’abatteuse est passée on voit bien l’intérêt de l’éclaircissement. Il est dit que dans un an les arbres vont avoir retrouvé une vigueur nouvelle et que le paysage sera différent. Rendez-vous donc l’année prochaine pour s’en rendre compte.
Etonnamment il a été constaté, qu’après que la forêt de la Combe à l’Eau ait été éclaircie il y a dix ans, les chênes verts se sont remis à pousser. Ils ont sans doute eux aussi retrouvé de l’espace pour respirer. Ces arbres sont endémiques de l’île de Ré.