En langage courant, une taupinière c’est un terrier. Ce mot est aussi utilisé pour désigner l’amoncellement de terre que l’animal réalise pour aménager son lieu d’habitation.
Le 9 octobre, j’ai découvert que des « taupinières humaines » existent à l’île de Ré ! Je suis restée éberluée en constatant une maison d’habitation au 3/4 enterrée à Rivedoux, sur la zone du Défend, en espace classé.
Dans les années 1960 les règles d’urbanisme semblent avoir été incontestablement moins contraignantes qu’aujourd’hui ! Cela paraît pour le moins incroyable… En zones humides, de la pointe de Chauveau et de celle du Défend, jusqu’aux Grands Prés, des abris ont été construits sur des parcelles privées.
Les bâtiments, maisons et cabanons, sont aujourd’hui voués à disparaître.
La première démolition, symbolique et importante, a débuté il y a quelques jours. La maison a été acquise, par préemption, par le Département, au titre des espaces naturels sensibles.
On peut imaginer les vacances de rêve, passées en bord de mer à l’île de Ré.
Whaoouh ! un portillon donne accès direct et privatisé à la plage. De quoi rêver, et d’engranger des souvenirs mémorables dans un endroit isolé et sauvage.
L’entreprise Ré TP est chargée de la démolition de cette « taupinière ». Les gravats commencent à être déblayés, dans une quinzaine de jours on n’y verra plus rien.
Il y avait là de la vie. Et même beaucoup de lumière. Les fenêtres étaient positionnées en hauteur, juste en dessous du plafond. Astucieux !
Une interrogation, toutefois un peu stressante, pour qui a connu de près la tempête Xynthia : Que se passe t-il en cas de vimer ? La maison est en dessous du sol, elle risque d’être bien humide en cas de submersion, avec de plus un danger avéré pour ceux qui dorment en contre-bas. Lors de Xynthia, le maire de Rivedoux, Patrice Raffarin a pu se rendre compte que la mer est rentrée sur ces terrains. Dans la foulée, il a signé un arrêté municipal, pour submersion.
Et tout autour beaucoup d’arbres, plantés, pourraient prendre feu.
Ici, le PPRL indique zone rouge rouge !
La maison a été construite en 1962. La superficie du terrain est de 1 473 m2, la maison elle-même mesure 99 m2. Le lot a été évalué par France Domaines. Son achat, par préemption, par le Conservatoire du Littoral, a été de 80 000 €, financé par l’Ecotaxe départementale. Sa démolition et la re-naturation du site, 100 000 €, sont financés par l’écotaxe de la Communauté de Communes.
Rappelons que l’Ecotaxe est réglée par les passages des usagers du pont de l’île de Ré et qu’elle est encadrée légalement, au profit de projets environnementaux.
Etape par étape, un plan de gestion du site se met en place.
Le maire de Rivedoux, Patrice Raffarin, se dit heureux de constater que le sujet progresse.
« Nous voulons désormais valoriser ce site, en accord avec le Département, le Conservatoire du Littoral et la Communauté de Communes. Il nous faut avoir la maîtrise du foncier de tous ces terrains pour mettre en route la réhabilitation du site. Ceux qui s’obstinent encore à rester ici vont-ils peut-être comprendre que vendre à l’amiable serait sans doute pour eux une véritable opportunité, pertinente ».
« Depuis 2001, le conseil municipal travaille sur ce site. Ça fait vingt ans ! Tout le monde reconnaît le côté remarquable de cette pointe de l’île de Ré. Pour autant on peut observer le mitage des parcelles privées qui nuisent à la qualité du site.
On imagine que les gens qui ont habité ici ont dû passer de bons moments, même si ce n’était que pour les vacances. On voit que des matériaux, pas obligatoirement respectueux de l’environnement, ont été utilisés. A la façon dont ces maisons ont été enterrées, cela montre que les propriétaires ne semblaient pas très sûrs d’eux, en voulant cacher un peu les choses »
Le Conseil départemental a délégué le Conservatoire du Littoral. Une importante mission attend Patrice Belz, délégué régional : la reconquête de près 19 hectares sur ce site rétais, à des fins de re-naturation. Un travail de fourmi et de longue haleine.
« Depuis des années, nous essayons d’acquérir à l’amiable, voire de préempter, comme c’est le cas ici.
Après de nombreuses relances infructueuses auprès des propriétaires, il nous faut passer à une vitesse supérieure. Cela s’appelle alors une Déclaration d’Utilité Publique (DUP). Cela signifie expropriation, un mode rarement employé par le Conservatoire du Littoral.
Cette première démolition est symbolique d’une véritable volonté des acteurs publics de reconquérir ces milieux, et de mettre en place un plan de gestion et d’aménagement. Il faut pouvoir préserver ce site extraordinaire et l’ouvrir au grand public de façon raisonnée » justifie-t-il.
Lionel Quillet, 1er vice-président du Département, et président de la CDC de l’île de Ré, souligne la difficulté d’avancer, en matière d’environnement.
Il rappelle : « Déjà en 1984, un domaine d’intervention s’est mis en place sur ce qui est considéré comme une des plus belles fenêtres naturelles de l’île de Ré, entre les communes de Rivedoux et de Sainte-Marie, avec le Conservatoire du Littoral.
Il faut beaucoup de volonté pour demander à des personnes de quitter un site, où clairement des liens sociaux et des souvenirs se sont créés pendant des années. Quand les politiques environnementales viennent empiéter sur des modes de vie, c’est compliqué. La préemption appartient au Département, qui la délègue au Conservatoire. Maintenant nous passons à une DUP ».
La superficie totale du site est de 65 hectares. La Déclaration d’utilité publique (DUP) concerne 36 hectares.
Depuis trente cinq ans des acquisitions ont déjà été menées à l’amiable, elles représentent déjà environ 19 hectares. Il en reste encore 17, non acquis, pour lesquels aucune entente et/ou négociation n’ont pu être trouvées. S’en suivront des procédures d’expropriation. Cela concerne 397 parcelles, grandes ou plus petites, en général de moins de 500 m2. Cependant, bien évidemment, les parcelles de vignes à l’intérieur du périmètre ne sont pas concernées.
En violet sur la carte figurent les 19 hectares déjà acquis par le Conservatoire du Littoral. En pointillé jaune, le périmètre de la DUP, et notamment le mitage du bord de mer.
Combien de temps cela prendra t-il pour que le site retrouve une physionomie naturelle : 10 ans ? 20 ans ? Va savoir… les procédures sont longues.
Quatre ou cinq maisons ainsi enterrées existent encore sur ce site, tout comme une multitude de petits abris ou cabanons, mais en extérieur, appelés à disparaître du paysage.
Dès que la maison-taupinière sera démolie, le profond trou dans lequel elle était enfoncée, va être comblé de terre. Les espèces végétales ornementales, arbres et buissons plantés, qui ne correspondent pas à celles naturelles de l’île en secteur littoral, vont être arrachés. Les Ecogardes assureront le suivi. C’est ce qu’explique Anaïs Barbarin, directrice adjointe de l’Environnement à la CDC.
« Juste derrière cette parcelle se trouvent les pelouses naturelles d’origan où l’Azurée du serpolet se développe. Ce terrain redevenu naturel va nous permettre de joindre les deux parties et de gérer l’ensemble sur lequel vit ce papillon protégé ».
Ce matin j’ai appris qu’à Sainte-Marie de Ré, des maisons-taupinières existaient également ! Ah… Mais cela est une toute autre histoire, qui ne concerne pas le site du Défend de Rivedoux.