Depuis le 3 novembre l’église d’Ars-en-Ré est fermée au public, en raison de l’important chantier de restauration qui se poursuit à l’intérieur de l’édifice.
Que s’est-il passé depuis le dernier post que j’ai publié ?
Cet été les offices ont pu être célébrés normalement, les visites patrimoniales ont continué, même si le bas-côté gauche de l’église était inaccessible.
Début septembre les travaux ont repris. En particulier l’assainissement des fondations. Un chantier essentiel, car l’église d’Ars est humide, et même très humide à certains endroits. Le sol de l’église est encaissé de 1,30 m par rapport au niveau de circulation extérieure.
Un drain périphérique sur l’assiette de l’église doit être réalisé pour éviter les problèmes d’infiltrations. Il court tout du long, à l’exception de la partie déjà décaissée au milieu des années 1990, ainsi que l’indique le filet rouge sur le schéma de l’architecte.
Le drain sera enterré à environ 80 cm.
En amont, un diagnostic archéologique du pourtour de l’église s’est déroulé en mai 2017.
Emmanuel Barbier de l’INRAP (Institut National de Recherches Préventives) a rédigé son rapport. 70 pages détaillent les sondages réalisés.
La notice technique indique entre autres : “ Les cinq sondages rendent compte d’un remblaiement massif des abords de l’église dû à un décaissement préalable vraisemblablement opéré, au plus tard, durant les guerres de Religion. Toutefois l’ampleur de ce terrassement paraît variable sur le pourtour de l’édifice.
Ainsi, il semble avoir épargné au nord les niveaux des sépultures médiévales (XIIe-XIIIe siècles). Au moins trois inhumations en coffrage de pierres ont été observées contre le mur gouttereau de l’ancien transept, vraisemblablement antérieur.
Au Nord-Est de l’église, les deux tranchées de diagnostic rendent compte d’un remblaiement massif et particulièrement dense qui atteint près de 2 m. Ce dernier participe au comblement d’une importante dépression qui semble persister jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.
Enfin, les deux tranchées réalisées au sud de l’église témoignent aussi d’un important décaissement dont la puissance n’a pas pu être entièrement appréhendée. Ce nivellement de l’espace paraît toutefois plus ancien que celui opéré à l’Est. Il est composé d’importants rejets domestiques qui traduisent une utilisation de l’espace en tant de dépotoir durant le XVIIe siècle, au sortir des guerres de Religion. Dans ce cadre, la présence d’un fossé contigu à l’église paraît fort probable.
Malgré une emprise très restreinte, ce diagnostic a révélé un ensemble d’informations inédites, certes incomplètes sur la topographie des lieux.
Une étude plus attentive des fondations et des dépôts permettrait sans nul doute de davantage documenter cet édifice qui a largement conditionné le développement du bourg d’Ars-en-Ré ”.
De ce fait je n’ai pas regardé les travaux de réalisation du drain de la même façon. Lorsque l’entreprise les Compagnons Réunis a creusé les tranchées, les moellons des fondations, liés au mortier de chaux, sont apparus dans leur simplicité.
L’enchevêtrement des pierres est très beau. On ne peut que penser aux humains qui ont édifiés les soubassements et les contreforts, à la main, il y a des siècles.
Les travaux de drainage ont débuté par le côté Sud de l’église.
Les archéologues de l’INRAP avaient découvert près de 111 fragments de poteries et des rebuts culinaires.
Dans les gravats des tranchées du drain, quelques fragments de poteries ont encore été exhumés. En petites quantités, toutefois. Ces morceaux de poteries témoignent de la vie quotidienne à Ars il y a 400 ans. Certains présentent de tendres couleurs vernissées.
Les sondages archéologiques ont également identifié “ 21 espèces de mollusques marins et une espèce de mollusque terrestre ainsi que de nombreux restes de poissons ”.
Outre des restes alimentaires, des fragments de poteries et même des tuyaux de pipes, un plomb de drapier avait même été découvert. “ Il représente un précieux témoignage des échanges commerciaux pratiqués. Il émane de la manufacture S.Mars sous Louis XIV (1638-1715). Si le lieu de la manufacture n’a pas pu être précisé, il permet toutefois de préciser l’aire chronologique des derniers dépôts opérés ” est-il écrit dans le rapport.
Encore un élément curieux et émouvant. L’église d’Ars a décidément des secrets…
LE DRAINAGE AUTOUR DE L’EGLISE.
En quoi consiste-il d’un point de vue technique ?
Il faut d’abord démolir tout autour de l’église, au marteau-piqueur et à la main. Tout en essayant de casser le moins d’anciens pavés car ils seront réutilisés.
Lors de la réfection des abords de l’église par une entreprise de Travaux Publics, un peu avant l’an 2000, les pavés avaient été posés sur une chape de béton de 15 cm et jointés avec du ciment. C’est ainsi que l’on procédait autrefois.
Ce béton est affreusement dur et compact. Oreilles fragiles s’abstenir.
Sur la partie Est de l’église, le sujet se révèle encore plus ardu. La sous-couche de béton armé est de 20 cm. Elle s’étend jusqu’au ras des murs de l’église.
Ceci pourrait, en partie, expliquer les problèmes d’humidité récurrents, les murs ne pouvaient pas respirer aisément. Le ciment provoque de la condensation, posez-le en plus sur du béton froid, ça fait un pont thermique.
Désormais ces matériaux ne seront plus utilisés, priorité est donnée à la chaux. Elle vient de la carrière de Saint-Astier, dans le Périgord.
Ensuite il faut vider la tranchée et évacuer les gravats.
Les eaux de pluie vont pouvoir se déverser dans le puits de la cour extérieure de la sacristie.
Toutefois la pente doit être suffisante pour que l’eau coule tranquillement et ne stagne pas.
Il faut également penser au paratonnerre.
Il descend du clocher et il passe par cette tranchée.
L’étape suivante consiste à rejointer les pierres si nécessaire, maçonner les bases enterrées et vérifier le niveau de pente.
Une “ cunette ” étanche a été réalisée. C’est le mot utilisé en Génie Civil pour dire : zone d’écoulement au fond d’un collecteur. C’est comme un caniveau, à l’intérieur de la tranchée, sur lequel le drain est posé. Son rôle : évacuer l’eau résiduelle.
Dans la tranchée passe aussi un câble électrique.
Un “ éco-drain ” est posé contre le mur. Comme il est alvéolé, il laisse passer un peu d’air, afin que le mur respire mieux.
Par dessus, une cornière est créée pour que l’eau ne passe par l’arrière, mais uniquement devant. Et par-dessus, tout autour, pour parfaire l’étanchéité, un “ solin ” en enduit. Au fond de la tranchée, du calcaire concassé est posé.
Le drain se présente comme une sorte de tuyau, de couleur blanche. Il a des fentes régulières dans lesquelles l’eau qui tombera autour des pavés pourra aussi s’infiltrer.
Des regards sont posés à chaque changement de direction du drain. En façades Est et Nord, les sorties des regards ont été rendues étanches par une chape hydraulique autour du regard, sous le revêtement de sol.
Tout cela est complexe ! Le sujet fait l’objet des réunions de chantier avec l’architecte l’entreprise Les Compagnons Réunis, en charge du travail et l’équipe municipale.
Lorsque tout sera terminé, les regards devront être régulièrement inspectés par la commune d’Ars, pour vérifier que rien ne les bouche.
La couche finale consiste à déposer du calcaire concassé. Il est assez fin.
Lui aussi sert de filtre drainant.
Ensuite, place aux carreleurs. Les anciens pavés sont reposés, ceux défectueux sont remplacés. Un travail très long et très minutieux.
Le mortier maigre utilisé doit être suffisamment étanche mais un peu perméable quand même, pour laisser passer l’eau du ciel, avant qu’elle ne soit récupérée dans le drain. Il faut également que l’eau qui passe sous le monument puisse s’évaporer à la surface.
“ Un tel drainage, c’est comme si on avait posé une gouttière sur le sol ” explique Stéphane Berhault, architecte du Patrimoine pour tenter de faire comprendre la technique, en mots simples, à la profane que je suis.
Pour ne rien oublier, il faut assurément prendre des notes !
Un chantier sans aléas, ne serait pas un vrai chantier.
En dégageant la tranchée près du mur de la cour de la sacristie, une grosse racine a été découverte. Les arbres de la place s’étalent en sous-sol. La racine avait perforé le soubassement de l’église et crevé un tuyau. Résultat : là tout commençait à s’effondrer. Il a fallu coffrer et reconstituer le bas.
Avant la finition, là encore il faut se creuser les méninges. Au coin de l’église, il y avait des dalles. Désormais il y aura des pavés, dans la continuité de ceux existants sur la partie sud de l’église, pour garder une cohérence esthétique.
Heureusement pendant cette longue période de chantier en extérieur, il a fait beau. Sauf quelques jours en octobre.
Lorsque le pavage est terminé, c’est incroyable, on a l’impression qu’il n’y a pas eu de travaux. Bravo à tous ceux qui ont oeuvré patiemment.
Début novembre, il reste encore un bout de pavage à terminer, en attendant la livraison du matériel.
Souhaitons que ces importants travaux de drainage puissent limiter cette humidité, jusqu’à lors persistante
LES CROIX DE CONSÉCRATION.
Fin octobre, Lucie Roques, restauratrice d’oeuvres d’art, est de de retour. Elle dégage et refixe les croix de consécration qu’elle avait mises à jour il y a un an.
Grimpée sur l’échafaudage, son travail est délicat et précis. Elle intervient par petite touches. Je suis toujours fascinée par les outils qu’elle manie.
Les couleurs sont celles d’origine. Et même si elle note que “ la polychromie est usée ”, le rendu est magnifique.
Ces croix de consécration sont vraiment splendides.
LES SOLS EN MARQUETERIE D’ENDUIT.
Mi-septembre, des micro-fissures sont apparues à quelques endroits, sur les fonds beiges des sols en marqueterie d’enduit. Zut alors !
La raison ? Sans doute un degré de séchage différents entre les motifs noirs, posés déjà secs, et les fonds beiges coulés après. Il a fait très chaud cet été, cela a peut-être contribué à accentuer des tensions de surface qui partent des têtes des trilobes et des quadrilobes.
Jusqu’en août rien ne pouvait présager un tel aléa de chantier. Le sol séchait normalement. Pourtant en amont, tout avait été prévu. Les joints de dilatation devaient faire en sorte que tout reste bien soudé ensemble. Eh bien non, c’est comme si quelque chose bloquait…
“ C’est un travail empirique et inédit qu’il faut accepter. Depuis un an et demi, nous avons pourtant fait des tests et des tests. Nous avons de la chance d’avoir plusieurs tranches de travaux et de pouvoir améliorer au fur et à mesure ” relativise Elisa Ricaud, architecte du Patrimoine, co-chargée de la coordination des travaux avec son confrère Stéphane Berhault.
Cependant il faut savoir que les sols anciens présentaient déjà ce type de micro-fissures, la technique employée autrefois étant à peu près la même. Les vieux sols ornementés étaient plus minces, 4 cm, que ce tapis à motifs récréé aujourd’hui sur une hauteur de 10 cm.
Les réunions de chantier se déroulent aussi au chevet, et au ras des sols !
Afin de diminuer l’impact visuel de ces micro-fissures, plusieurs essais ont été réalisés : en brossant les sols beiges, en injectant un peu de chaux, en passant une fiche couche d’huile de lin. Deux semaines plus tard le résultat se constate, c’est déjà mieux. Au fil des jours, les défauts ont l’air de s’atténuer.
Quand il y a un problème, il faut trouver une solution. Le maire, Jean-Louis Olivier, se penche aussi sur le sujet. Son ancien métier, dans le bâtiment, lui a donné quelque expérience.
En prévision de la suite des travaux, de nouveaux essais de réfection des sols sont réalisés. Une résille de fibre de verre est intégrée dans les fonds beiges, ainsi qu’il en existe une dans les cabochons noirs préparés à l’avance. Pour le second essai, des gravillons sont intégrés dans la chaux et le mortier de remplissage est plus mince sur le dessus.
Il convient maintenant d’attendre quelques semaines pour que ça sèche complètement et pour comparer.
Quant aux anciens sols, près des fonds baptismaux, ils ont été poncés et lavés, et ça se voit….
DE GROS RANGEMENTS.
Pour attaquer les travaux dans le bas-côté nord et dans le vaisseau central dès les vacances de Toussaint terminées, il faut que l’espace soit dégagé des ornements et du mobilier : bancs, chaises, estrade de l’autel, statues, cierges, tables. Il y a de quoi déménager ! Seule la chaire reste en place, elle ne gêne pas la suite du chantier.
Les dames de la paroisse ont soigneusement mis à l’abri les objets de culte. Les employés municipaux démontent les bancs en bois blond des années 60 et l’estrade de l’autel. Il se dégage une étonnante odeur de humidité, pas agréable du tout, qui prend à la gorge.
Les vieux parquets en bois n’ont plus d’utilité. Ils seront remplacés par un sol de pierre, recouvert de tapis chauffants.
Les entourages en frisette ont été autrefois cloués de partout, le démontage s’avère impossible. Il faudra les refaire intégralement.
Oh ! la base des vieux bancs, ceux à l’arrière du vaisseau central, est très endommagée, voire totalement vermoulue, comme le constate Michel Jauffrais, adjoint. Ils ont été mis de côté en vue d’une expertise. Soit ils seront restaurés, soit changés.
Les bancs noirs, très anciens, seront démontés par une entreprise de menuiserie extérieure.
Les anciens sols apparaissent à nu. On distingue un peu les vieilles pierres posées sous une couche de sable.
La faible épaisseur des vieilles marqueteries d’enduit s’effrite, et ne voit quasi plus les motifs.
PLACE AUX ECHAFAUDAGES.
Un savant montage de poutrelles se met en place pendant deux semaines. Les tableaux autour de l’autel sont protégés.
Dans la foulée c’est reparti pour une nouvelle phase de travaux sous la voûte et dans le choeur. Les volutes, les murs et les piliers sont grattés pour retirer les nombreuses couches de vieilles chaux. En langage officiel on dit “ purger les enduits ”. Les fissures sont bouchées, d’anciens clous et ferrailles qui faisaient éclater la pierre sont enlevés.
En vidéo voici un résumé de trois mois d’intenses travaux, qui n’ont pas été un long fleuve tranquille :
L’église est fermée pour un bon moment. Toutefois la partie romane reste ouverte à ceux qui veulent se recueillir ou découvrir ce qu’était la toute première église d’Ars-en-Ré.
Dans un prochain post, je vous raconterai comment une nouvelle croix de consécration a été découverte ces jours-ci, la nature des travaux qui continuent, et la réfection de quatre autres vitraux.
La souscription en faveur de la restauration de l’église se poursuit, via la Fondation du Patrimoine. A ce jour 13 955 € ont déjà été récoltés. Les dons sont déductibles des impôts.
Et vous pouvez également acheter le passionnant livre de Pierre Goguelin, Les Trois Eglises d’Ars-en-Ré, que l’AIA (Association Information Arsaise) a ré-édité. On le trouve soit au bureau du tourisme d’Ars-en-Ré, soit à la maison de la presse sur la place de l’église. Il coûte 10 €.
A bientôt…