Les rapports du gardien-chef du pénitencier

A la fin du 19e siècle, la prison de Saint-Martin de Ré abritait les relégués et les transportés. Des condamnés en partance pour les bagnes de Guyane et de Nouvelle Calédonie.

Le gardien-chef de la prison était Monsieur Gabillon. Régulièrement il écrivait un rapport à son directeur, dans lequel il relatait les faits marquants du pénitencier.  Un carnet consigne dix ans de rapports, rédigés entre 1881 et 1891.

Carnet du gardien-chef de la prison de Saint-Martin - Avril 2017

Le 1er avril, le carnet a été offert au maire de Saint-Martin de Ré, Patrice Déchelette.

Ce don privé a été fait par un groupe d’une trentaine de Rétais et de Rétaises et des sympathisants de l’île de Ré. Six mois plus tôt, Jean-Louis Brin avait débusqué ce document mis aux enchères sur internet. Sous sa houlette, le groupe s’est démené pour ensemble l’acquérir, via une cagnotte en ligne et des dons reçus le jour de la Fête des Associations.

Le même 1er avril, le maire a donné le carnet au musée Ernest Cognacq.Saint-Martin de Ré - Don du carnet du gardien-chef Gabillon - 1er avril 2017

Ce document inédit fait désormais partie des collections du musée de l’île de Ré.

Carnet du gardien-chef de la prison de Saint-Martin - Avril 2017
Julia Dumoulin-Roulié – Directrice du musée Ernest Cognacq.

Depuis une quinzaine de jours, le carnet du gardien chef Gabillon est en ligne sur le site internet du musée.

Le manuscrit comporte 103 doubles feuillets. C’est un peu long à lire, mais je vous engage à vous plonger dedans.

Page après page, je suis souvent restée méditative. Le contenu, l’élégante écriture, les mots terriblement factuels des rapports de Monsieur Gabillon, les quelques ratures qui montrent un certain agacement, me laissent songeuse. Entre ces faits qui remontent à la fin du 19e siècle, et notre début de 21ème siècle, 140 ans nous séparent.

Le quotidien du pénitencier de Saint-Martin y est relaté. C’est une sorte de journal de bord. Chaque rapport commence invariablement par les mots :  “ J’ai l’honneur d’informer…, signaler…, ou rendre compte…, à Monsieur le Directeur… ”.Carnet du gardien-chef de la prison de Saint-Martin - Décembre 2016

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la vie professionnelle de Monsieur Gabillon n’a pas l’air d’être un long fleuve tranquille. Entre encadrement des gardiens et afflux des prisonniers.

Les gardiens ont parfois des comportements inadéquats : abandon de poste, insubordination, familiarité et proximité avec les prisonniers, manque de déférence, retard de prise de poste, désertion, trocs et trafics entre gardiens et prisonniers, négligence à propos de la pitance quotidienne, lecture du journal au lieu de surveiller les détenus, endormissement pendant la garde, cirage des souliers au lieu d’assister à la levée des condamnés…

Du fil à retordre pour Monsieur Gabillon. A plusieurs reprises il a même des mots durs au sujet du 1er gardien qui créé des entraves au service. Carnet du gardien-chef de la prison de Saint-Martin - Décembre 2016

Le nombre des condamnés prêts à la transportation vous saisit : 383, 340, 76, 374, 198, 324, 462… selon les dates. Je pense aux images poignantes de l’exposition permanente du musée Ernest Cognacq, consacrée au bagne.

Plusieurs détenus sont morts au pénitencier de Saint-Martin, malgré les soins dispensés et les campagnes de vaccination régulières. Tuberculose, bronchite chronique, démence, scarlatine, fièvre typhoïde, phtisie pulmonaire, camisole de force, pleurésie, scrofule, idées de suicide, érysipèle, simulacre de folie, apoplexie cérébrale, gale, méningite, anémie, péritonite tuberculeuse, amputation de jambe… Tout cela sur fond de sur-population carcérale, au moment des départs vers les bagnes.

Les rapports relatent le lavage des pieds pour tout le monde et les bains de propreté pris avant la visite de la commission médicale chargée d’examiner les détenus destinés à la transportation.

La vétusté des bâtiments et les travaux dans l’établissement sont évoqués. On imagine les murs de la prison, humides et suintants. L’hiver le chauffage était assuré par des poêles. L’été il y faisait très chaud, la citerne d’eau n’était toujours approvisionnée.

Parfois les prisonniers sont très turbulents. Un comportement bien compréhensible dans ce contexte. Mais toutefois pas légion. Les plus récalcitrants sont attachés aux pieds par des chaînes, ou mis aux arrêts. Début d’incendie des lampes de réverbères, plaintes pour manque de pain et de vin, pain moisi. De quoi provoquer, certains jours, des tentatives de meurtre.

Toutefois Monsieur Gabillon relève que chaque départ de prisonniers ne fait l’objet d’aucun incident au moment de l’embarquement.Carnet du gardien-chef de la prison de Saint-Martin - Décembre 2016

Il est vrai que parmi ces prisonniers il y avait des fortes  têtes, des meneurs. Ce n’était pas le cas de tous, comme l’explique d’ailleurs très bien l’expo permanente du musée. Les relégués étaient des récidivistes de délits mineurs. Les condamnés par la Cour d’Assises étaient des transportés. Quant aux déportés politiques, ils se trouvaient là, suite aux événements de la Commune.

Quand au détour d’une page du carnet je lis : “ remise en liberté par suite d’une mesure gracieuse ”, ou bien “ mandat d’extraction de la prison ”, je pense à ce qu’était l’état d’esprit de la nation dans ces temps.

Les activités des prisonniers sont mentionnées : ateliers de sacs en papier et d’effilochage, rétamage des ustensiles de cuisine, vidage de la fosse d’aisance. Lorsque le pénitencier reçoit les uniformes des futurs transportés, il n’est pas rare que les vareuses soient trop grandes et que les pantalons de treillis trop petits.

Ces notes sont remplies de petites informations, voire anecdotiques. Et de grandes aussi.Carnet du gardien-chef de la prison de Saint-Martin - Décembre 2016

Une lettre d’un détenu qui part deux jours plus tard pour la Nouvelle Calédonie, accompagne ce carnet. Il remercie le gardien chef Gabillon pour son humanité. Alors qu’il part en déportation le condamné admet ses fautes, et la punition qu’il juge méritée. Une époque étrange.

Qui était Monsieur Gabillon ? Quel âge avait-il lorsqu’il était gardien-chef de la prison ? Quel a été son parcours professionnel auparavant ? Existe-t-il des photos de lui ? Autant que questions que je me pose à la lecture de ce manuscrit.

Fin décembre 2016, le carnet a été gracieusement restauré dans l’Atelier Quillet, à Loix.

Les feuillets étaient coupés en deux, ils ont été consolidés avec du papier Japon, avant d’être recousus dans la couverture du carnet. Carnet du gardien-chef de la prison de Saint-Martin - Décembre 2016

Il semblerait que la couverture ne date pas du 19ème siècle. Les rapports ont-ils été rassemblés sous forme de carnet plus tard ? Encore plein de questions sur ce manuscrit…

 

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